Hostile

 

Hostile et hôtel, sortis du même moule ? Voilà une idée à laquelle on est hostile a priori. Or l’étymo est parfois fendarde, ainsi que nous l’allons voir dès qu’on aura lancé les hostilités.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Qui caractérise un ennemi, qui manifeste de l’agressivité, de la malveillance, de la mauvaise humeur,

voire

sur le point d’engager le combat, la guerre,

hostile ne gagne pas à être connu. Les dicos restent d’ailleurs à bonne distance, qui en font un simple copier-coller du latin hostilis (même sens).

Sans troubler le sommeil de la bête, on peut néanmoins remonter jusqu’à hostis, lui-même rejeton de l’indo-européen ghos-ti-, « étranger, invité, hôte », dont proviennent l’anglais guest et l’allemand Gast.

Ambiguïté de l’âme humaine : si on lui doit l’hospitalité (sur laquelle reposent hospice, hôpital, hôtel et chambre d’hôtes, c’est bien ce qu’on disait), l’étranger reste un ennemi potentiel.

Notez qu’hôte désigne aussi bien le maître de maison que chacun de ses convives. Dualité quand tu nous tiens.

 

Issu de la même racine, le grec xénos n’a engendré que xénophobie, « haine de l’étranger » qui n’a son pendant chez aucun « xénophile ». D’ailleurs, celui qui déteste les Grecs est-il xénophobe ? Non car du point de vue strictement étymologique, c’est lui, l’étranger. D’ailleurs c’est çui qui l’dit qui est.

 

Et, croyez-le ou non, cette hostie que vous vous apprêtez à gober n’est qu’une « victime expiatoire », en vertu du verbe hostire, « frapper », typiquement le gars d’en face.

Quant à l’ost, ancienne armée bien connue des amateurs de mots fléchés, elle est, sans surprise, formée sur hostis, l’« ennemi ».
C’est pas pour prendre leur défense mais les graphies host, oust, houst, oost, hoost, oist, aoust, olst, ot et hot n’ont pas combattu moins vaillamment.

Allez oust.

Merci de votre attention.

 

Bravo

 

Tandis qu’on se confond en excuses, on ne peut en faire autant en bravos. Certainement pour éviter de confondre.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si applaudir en criant bravo confine au pléonasme, l’apogée est atteint avec bravissimo.

Aujourd’hui, l’interjection est invariable. Mais du temps où l’on avait des lettres, on disait brava (pour acclamer du féminin singulier), brave (féminin pluriel) et même bravi (masculin pluriel). La documentation ne dit rien quant à bravu et bravy. Et zapotovsk, parce qu’on ne parle plus tout à fait de la même chose.

Mais d’où bravo découle-t-il ?

 

Il a suffi de tendre l’oreille de l’autre côté des Alpes où les chanteurs d’opéra faisaient un malheur vers 1738. Un recyclage tardif de l’adjectif bravo, on vous le donne en mille : « brave », attesté là-bas depuis 1346.
Ici, il signifie dans le désordre « beau », « bon », « noble », « courageux », « fier » et « arrogant ». N’en jetez plus.

 

L’adjectif rital fait lui-même écho à l’hispano-portugais bravo et au provençal et catalan brau, contraction à la va-comme-je-te-pousse du latin barbarus, « barbare ». L’envahisseur, tout lâche qu’il est, ne manque pas de bravoure, allez comprendre.

Toujours est-il que ces borborygmes typiques de l’« étranger » (premier sens de barbare) façonnèrent l’onomatopée barbar- devenue, au fur qu’on parlait dans notre barbe, barbru, babru, puis brabu et enfin brau, « sauvage ». Ah bravo, belle mentalité.

 

Du reste, le verbe braver est assez unique en son genre. Imaginons les synonymes de brave à l’infinitif : « beller », « bonner », « nobler », « courager », « fiérer ». Et pourquoi pas « arroger », pendant qu’on y est ?

Merci de votre attention.

 

Pèlerin

 

Il suffit de rester accroupi trois minutes pour mesurer la détermination du pèlerin à genoux. Et les litres de San Pellegrino nécessaires à sa survie.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme le rappelle cet épatant préambule, le pellegrino italien s’est délesté de son g dans les Alpes. Plus exactement, le pèlerin se l’est gardé sous le coude lors de ses pérégrinations, pour ne le ressortir qu’outre-Manche, où on l’appelle pilgrim.

 

La lente agonie du verbe pérégriner laisse à penser que pèlerin est condamné au même sort, puisque c’est le même mot. D’abord pérégrin au sens d’« étranger » (XIe-XIIe siècles), il devient bientôt pellerin (1694), pelerin (1718), pélerin (1762), pèlerin (1798), pelrin (2057) puis plus rien (vers 3130).

 

Déformation de peregrinus, « qui voyage à l’étranger, qui vient de l’étranger, qui concerne l’étranger », le pelegrinus latin aurait donc tendance à faire du chemin depuis l’étranger. Notamment le chrétien rejoignant son lieu de pèlerinage.

 

Tout ça n’aurait pas vu le jour sans l’adverbe peregre, « de l’étranger » (l’action, depuis le début, se situe à l’étranger, notez bien).
Per- (« au-delà ») se déboîte tout seul de ager, « terre » mais surtout « champ », comme dans agriculture, y’a pas de hasard.

 

Laissons pour finir l’ornithologue du XIIIe siècle nous parler du faucon pèlerin, ce SDF

ke l’en apiele pelerins, pour çou que nus ne trueve son nit, ains est pris autresi comme en pelerinage.

Laissons pour finir le squalologue du XIXe siècle nous parler du requin pèlerin, ainsi nommé

à cause de la ressemblance entre les collets du manteau des pèlerins [la pèlerine] et les replis flottants formés par le bord libre des membranes interbranchiales.

Merci de votre attention.