Le play-back

 

Si vous lisiez ce billet en play-back, vous y prendriez moins de plaisir puisque ce serait pour de faux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A chaque passage télé, même foutage de gueule : l’artiste chante en play-back en tâchant de faire croire (avec toute la conviction de la main qui ne tient pas le micro) que la performance est en direct.
Mascarade particulièrement flagrante lors d’un fondu (ou fade-out, comme disent les Angliches). Quand le son diminue, il faudrait déjà la mettre en sourdine comme un seul homme jusqu’au silence complet, dans la vraie vie. Au lieu de quoi les zigomars continuent de zigoter devant la caméra.
Simuler l’orgasme à côté mériterait une auréole, et pas le genre d’auréoles auquel on pense de prime abord.

 

La ruse a beau être éventée depuis l’invention de la bande-son, on ne s’en offusque plus. Est-ce à dire que le play-back permet de gagner du temps ? Pas pour les roadies en tout cas, contraints de déplacer l’intégralité du barda pour des nèfles à seule fin d’entretenir l’illusion (excepté les câbles dont, vous ferez gaffe, la moitié n’est pas branchée. Et pour cause).

Certes, la chanson sonne comme sur le disque puisque c’est le disque. Mais songez à l’effort de concentration pour rendre naturel le mouvement des lèvres (ou lip-syncing, comme disent les Angliches). Essayez devant votre glace. L’exécution de la ritournelle à pleine voix ne serait-elle pas plus reposante ?

 

Et d’ailleurs, que n’en fait-on autant sur les planches ? Envoyer la purée des coulisses éviterait les affres du trou de mémoire au moment d’attaquer la tirade de Cyrano ou le monologue d’Hamlet.

 

Le play-back est au spectacle vivant ce que le micro-ondes est à la cuisine : du prêt-à-consommer.

Merci de votre attention.

 

Ad libitum

 

Faute de pouvoir traduire ad libitum par un synonyme 100% sûr, le français moyen en est réduit à chercher des équivalents : à l’envi, jusqu’à plus soif, jusqu’à épuisement des stocks, et plus si affinités.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Parmi tout ce qui précède, bien malin qui pourrait dire ce qui sur le plan littéral s’approche le plus de la locution latine. Raison pour laquelle nous l’avons conservée intacte, à tous les coups. Tout en lui donnant du « ad lib. », marque d’affection que nous ne réservons guère qu’à etc., excusez du peu.

 

On n’a pas toute la journée.

Ad : « à » avant la lettre. Préposition dont la particularité est de s’adjoindre tout ce qui passe.

Libitum fait de son côté furieusement penser à libido. Engagés sur cette pente du stupre, ne serions-nous pas en train de nous éloigner du sujet ?

Détrompez-vous. Libitus et « plaisir » sont cul et chemise, si si.

En Latinie, le mot voit le jour comme participe passé substantivé de libere, « plaire ». Car si « ich liebe dich », c’est d’abord parce que « tu me plais ». Et avant de nous lancer des noms d’oiseaux, souvenons-nous qu’un quolibet est à l’origine une question improvisée, débattue librement, selon quod libet : « ce qui plaît ».

Quant aux lubies qui se déclarent sans crier gare, elles bourgeonnent sur le verbe lubere, variante – on vous le donne en mille – de libere.

 

Pas étonnant que les partitions des musiciens regorgent d’ad libitum. Occasion rêvée pour l’interprète de jouer enfin selon son humeur, « à plaisir » ; moyen détourné pour le compositeur de ne pas trop se casser la nénette.

Merci de votre attention.