Fulgurance #92

Allez demander à quelqu’un qui chante juste de chanter faux : peine perdue.
Mal chanter est une technique mystérieuse.

non-tu-ne-chanteras-pas

Vaut-il mieux repiquer sa seconde, un solo ou les haricots ?

 

Disons-le d’emblée : il est tout à fait possible de cumuler les statuts de redoublant, de musicien et de jardinier. Avoir la main verte n’est nullement incompatible avec l’amour du 4e art et du radiateur, loin s’en faut. Vous pouvez même, si vous êtes parvenu jusqu’à cette phrase sans bâiller, ajouter à vos passions pour une scolarité en dents de scie, les chorus et la grelinette, celle du pléonasme.

Néanmoins, s’il faut absolument choisir et correspondre à l’étiquette qu’on vous aurait collée, quitte à sombrer dans la monomanie, que repiquer prioritairement ?

 

Les esprits forts iront chercher la petite bête : si vous êtes déjà bachelier ou que vous poursuivez des études dans le secondaire, même chaotiques, l’occasion de repiquer votre seconde ne se représentera sans doute jamais. De même, si vous venez de quitter les bancs de la maternelle à l’heure où vous lisez ces lignes (syllabe par syllabe), ceux du lycée font partie d’un futur trop lointain pour vous concerner. Il y a un temps pour tout, nous sommes d’accord. Mais ‘scusez, la culture du haricot vert suit elle aussi un calendrier très précis, sans quoi les avortons de la future récolte seront si flapis que vous n’aurez même pas le cœur à les étêter. Quant à ce solo que vous vous targuez de pouvoir reproduire à l’inflexion près, collez-y-vous vite avant que la finesse de votre ouïe ne s’use sous le faix des ans.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en repiqueur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Repiquer votre seconde. L’obtention à moyen terme du baccalauréat évoqué ci-dessus est à ce prix. Mais qui vous dit que vous ne laissez pas l’amour de votre vie s’envoler ce faisant (car lui a eu la moyenne, ce faisan) ? Au nom de votre descendance, ne loupez donc cette année charnière sous aucun prétexte.

johnny

♦  Repiquer note à note ce solo légendaire vous vaudra une certaine aura, parfois même au-delà des murs de votre chambre. Sauf qu’à la longue, à trop vouloir imiter vos modèles, vous passerez aux yeux de tous pour un technicien sans âme. Votre oraison funèbre, au moins, sera vite expédiée.

 

♦  Vous pouvez enfin considérer, comme le vieux Voltaire, que l’essentiel est de « cultiver son jardin ». Pensez-vous vraiment qu’il soit bien sage de vous occuper de vos rames alors qu’on n’invente plus rien en musique et que l’échec scolaire gangrène la patrie ?

 

Le repiquage a peut-être ses vertus mais le monde continue de tourner, lui.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

« A la clé »

 

Soupir liminaire : plus personne n’écrit clef avec un f au motif que ça fait une lettre de plus. On commence comme ça et on finit par changer la serredure en serrure, le pesne en pêne et le chambramlle… Je ne vous le fais pas dire.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Embringués sur cette pente fatale, c’est à pêne si nous sursautons quand un sombre delahousse dresse le bilan d’un attentat en ces termes :

à la clé 31 morts,

fin de citation.

C’est déjà extrêmement ballot de finir éparpillé façon puzzle sans avoir été consulté. Si « à la clé » on chahute le repos de votre âme … Car quoi ? la locution présage plutôt une issue heureuse, une récompense à venir, quoique certains dicos la tiennent pour « généralement péjorative ». On n’est pas forcé d’acquiescer.

Tout ça, c’est de la faute des musiciens qui, eux, l’emploient au sens littéral : dièses ou bémols à la clé indiquent la tonalité du morceau. Faites-le-leur cracher, tiens : la première chose qu’ils zieuteront au déchiffrage, c’est la clé (de sol, de fa ou d’utre-tombe selon l’instrument), ainsi que l’armature y afférente. 47 bémols à la clé = cauchemar assuré. Heureusement, on n’a droit qu’à 7. Idem pour les dièses, voui voui voui. Tout bêtement parce qu’après do, , mi, fa, sol, la, si, c’est le bout des terres. Et dire qu’avec cette maigre ration, d’aucuns arrivent encore à nous pondre du lancinant dont on se demande où ils vont le chercher.

Je m’égare et vous dites rien.

« A la clé », donc, exprime à sa manière l’idée d’une « carotte » ; c’est une promesse. Rapportée à la boucherie citée plus haut, avouez qu’il y a des expressions plus heureuses :

Le bilan fait état de…
On dénombre…
On recense…

pour ne citer que celles-là. « A la clé », c’est un peu comme si le présentateur revendiquait la chose en jouant à compatir. Que si ça se trouve, la voiture, c’est lui qui l’a piégée pour revenir annoncer lui-même le nombre de victimes à l’antenne. D’autant plus impardonnable que, déontologiquement (« Tu ne tueras point »), on a droit à 0 dans ces cas-là.

 

Et pour les fausses notes, l’oreille, y’a qu’ça d’vrai.

Merci de votre attention.