Fulgurance #116

Si on ne termine jamais ce qu’on a commencé, c’est sans doute parce qu’on ne commence jamais ce qu’on a terminé.

« Fin de non-recevoir »

 

Vous en conviendrez, « fin de non-recevoir » est le nom savant pour bide, vent et assimilés. « Savant » façon savant fou : suffit de démonter le fourbi pour s’en convaincre. A la dévisseuse, sinon on n’a pas fini.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car où se donne-t-on du « cher confrère », raide comme la justice malgré la robe ? Vous l’avez pigé, il n’y a qu’en droit qu’on cause comme ça. « Fin de non-recevoir » y côtoie allègrement d’autres formes figées par on ne sait quel prodige (« mandat d’amener », « ordonnance de soit-communiqué »…). Passons.

 

Dans le code de procédure civile donc,

constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande (…).

Tout s’éclaire. Mais contemplez le sort réservé à recevoir ! Précédé de la négation, le verbe se mue en substantif sans que personne ne moufte.
Mettez donc « non-recevoir » à côté de non-lieu. Trouvez pas qu’il y a lieu de s’inquiétude ?

Quitte à employer un nom, pourquoi pas

fin de non-recevabilité ?

Hideux mais correct.

 

Gardons le meilleur pour la fin. C’est vrai, à quoi rime-t-elle, celle-là, à la fin ?
Si le « non-recevoir » s’arrête, c’est pour prendre désormais en compte la demande jugée recevable. La tournure entière devient alors irrecevable.

Quoique ! Moins par moins égale plus. Dans ce cas, tout baigne : c’est bien par une « fin de non-recevoir » que l’on se fait recevoir, et en beauté.

 

Le fin mot de l’histoire ? Fin est ici un « but juridiquement poursuivi » (v. « à toutes fins utiles »). Mais on n’a pas rêvé, dans la définition citée plus haut, elle est le

moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande.

Moralité : au barreau comme ailleurs, la fin justifie les moyens.

Merci de votre attention.

 

« Au final »

 

Un classique. L’expression avait même bien failli ne plus gêner aux entournures. Pour un peu, personne n’aurait cru bon de la dézinguer dites donc.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Pas correct, « au final » ? Pas très heureux, concèderont d’abord les plus naïfs. Il fallait bien créer une formule passe-partout, que ni enfin, ni finalement (qui indique plutôt un changement de programme), ne recoupaient totalement. Ainsi jaillit « au final », le pendant d’« à la base » déjà étrillé ici même. Final y passe pour un synonyme d’arrivée : presque pas de quoi fouetter un chat.

 

Mais approchons la bête. Grammaticalement, comment analysez-vous final ? Vous pouvez commencer à blêmir.

Adjectif ? Après au ? Vous pouvez commencer à rougir. Remplacez-le par un adjectif pour en avoir le coeur net : dernier, au hasard. Ça ne marche que si un nom est sous-entendu derrière :

au dernier [de ces messieurs].

Dans « au final », final se rapporte à que dalle : l’hypothèse tombe à l’eau.

Nom ? Non. Vous pouvez commencer à chercher, aucun dictionnaire ne le signale comme tel. Tout juste parle-t-on « du final » d’une œuvre musicale, francisation (péchant par ignorance sans doute) du grandiose finale italien.

 

On n’a qu’à dire que final est une espèce hybride. L’usage n’a-t-il pas force de loi ?
M’étonnerait. Echangeriez-vous « au final » contre

au terminal ?

En dehors du terminus géant qu’il désigne, terminal coule des jours heureux en tant qu’épithète auprès de phase ou de stade. Dans le même temps, personne ne songe à déformer « au terme ».

 

Parce qu’à la fin, ça n’existe pas, « au final ». A moins de vouloir signifier à l’orchestre « mesure 328 ».

Merci de votre attention.

 

Imbécile

 

Non, pas vous. L’imbécile de service, celui ou celle (l’e final vaut pour tous) qui mérite notre dédain intégral. Sans haine, car imbécile est un nom d’oiseau rare, une insulte sélect, presque un constat.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Imbécile (non, pas vous) est si fin et racé qu’il ne supporte aucun des traitements que nous réservons habituellement au vocabulaire courant. Pas d’apocope (imbé), pas de verlan connu (cilimbé) quoique le charme opèrerait encore. Pas non plus de suffixation (comme dans connard, salopiot) ni d’hyperbole (super-connard, non, pas vous). Du haut de sa superbe, imbécile semble intouchable.

Il se paye même le luxe d’être bi (nom et adjectif), comme son cousin scélérat :

Une loi scélérate ;
Les scélérats !

Des mesures imbéciles ;
Imbécile !

Non, pas vous.

Notons enfin le double l d’imbécillité. Suprême distinction qui n’a rien d’un caprice, ainsi que l’étymo va nous le révéler. Vous préviens, elle est à la hauteur de l’animal.

 

Souvenons-nous d’abord du « faible de nature » en vigueur jusqu’au XIXe siècle. Par extension, un imbécile n’a plus toutes ses facultés intellectuelles et dans la foulée, savez ce que c’est, devient – sens actuel – khôn comme une pelle.

Or dans les premiers dicos, imbécile s’écrit imbecille (le français a longtemps ete fache avec les accents et phriandt en consonnes). Fin XVIe, le « sexe imbecille » équivaut, évidemment, au « sexe faible » – expression tout aussi imbécile, s’ pas, filles du sexe féminin.

 

Mais zieutez le latin imbecillus, d’où tout déboula. Pourquoi « faiblard », à la fin ? Parce que l’imbécile n’a pas de bacillum (« bâton ») pour le soutenir. Avouez que ça vous coupe les pattes.

Pas pour rien si ces saloperies de bacilles ont la forme de bâtonnets. Nous les appelons bactéries à nos heures perdues à cause du grec ancien baktêria (« bâton pour la marche »), d’après l’étymon indo-européen bak- (« bâton, frapper ») qui nous vaut aussi la baguette. Magique !

 

Conclusion : celui qui veut frapper sur une batterie et oublie ses baguettes est un imbécile.

Merci de votre attention.

Non, pas vous.