A quoi repérer l’artifice ?

 

Dans un monde d’apparences et d’illusions, démêler le vrai du faux n’est pas chozézé. La vie elle-même est un songe, écrivait Calderon. Si tant est qu’il l’ait écrit.
C’est qu’il en faut beaucoup pour déjouer les trompe-l’œil, miroirs aux alouettes et autres fake news chausse-trapes que l’humanité vous tend. Rationalité imperturbable, sens critique en béton armé, assortis d’une solide culture générale.

Sans oublier l’expérience. Il fut un temps pas si lointain où l’on vous ressuscitait le nez avec un pouce coincé entre les doigts. Aurait-on omis de vous expliquer le truc que vous gambergeriez encore, avouez.
Sur leur lit de mort, d’aucuns réclament encore l’aumônier. C’est assez dire qu’il n’y a pas d’âge pour croire aux chimères.

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en dindon civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Quand l’artifice est dans le nom, c’est facile (pour ne pas dire chozézé) : un « feu d’artifice » annonce la couleur. Ce qui ne vous empêchera pas de vous extasier oh la belle verte. Mais si ce « feu de poubelle » ou cette quatre-fromages au « feu de bois » semblent authentiques, qui vous dit que ce « feu follet » n’est pas un abus de langage ?

 

♦  Au cours de votre feuilleton préféré, des rires vous parviennent par vagues, régulières et disproportionnées. On parle alors de « rires enregistrés ». Moyen infaillible de les reconnaître : ils vous dispensent de rire vous-même, voire de vous forcer à rire quand ce n’était pas drôle.

 

♦  Décidément, vous ne savez plus à quel sein vous vouer, surtout s’il est en plastique. Ne vous focalisez ni sur la consistance, ni sur les balafres dans la région costale. Fixez plutôt le regard de la mutilée. S’il est aussi expressif que celui d’un mannequin en vitrine, la sincérité des roploplos est sujette à caution.

 

♦  De même, les poissons panés ne naissent pas carrés ni même en forme de poisson (habile stratagème pour instiller le doute). Vous repérerez la supercherie au slogan « Croustibat, qui peut te batt’ ? », dont le succès a contre toute attente permis aux créateurs de s’offrir des vacances sur des littoraux paradisiaques où ils ont pu déguster de vrais poissons grillés au crépuscule.

 

♦  Plage toujours : et l’océan qui vous fait face ? On vous a déjà fait le coup des lacs artificiels, plus turquoise que nature. Vu l’étendue d’eau cette fois, il est peu probable qu’on ait irrigué tout ça juste pour que vous y crawliez mollement. Si toutefois l’horizon se pare de teintes irisées, c’est le « sixième continent » qui flotte sous vos yeux, formé déchet après déchet par vos semblables.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Autogestion

 

Dans le supermarché bondé, des mini-têtes à claques ne font aucun cas des avertissements de leur mère. Qui menace, excédée :

Vous vous gérez.

Autrement dit,

J’abandonne

et plus précisément

Je vous abandonne.

A quand un permis de pondre ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Au-delà du constat d’échec, passible de hara-kiri chez tout parent sensé, c’est une stupeur linguistique qui nous noue les boyaux [ici se cache sans doute une contrepèterie]. Ne dites plus « sois sage » mais « gère-toi », davantage à portée de comprenette des loustics.
Transposez un peu la phrase au Moyen-Âge, voire même à l’ère bien entamée de la révolution industrielle. S’esclafferaient, les aïeules, si tant est qu’elles saisiraient de quoi il retourne exactement.
Car où a-t-on vu jouer qu’un enfant se gérait comme un budget ? Un stock ? Un capital quelconque ?

D’ailleurs, l’appellation « directeur des ressources humaines » vous révulse-t-elle encore au saut du lit ? Ahâ, mes petits pères, flagrant délit de moutonnerie.
Gestion
des conflits, du temps, du stress, de la prise de parole, l’étape suivante consistait fatalement à gérer des êtres de chair et d’os sans que ça empêche de dormir.

T’inquiète pas chérie, le saumon sauvage, je gère.

Si cet énoncé pubeux passe comme une lettre à la poste, transformez le verbe en substantif. Chérie applaudira-t-elle vraiment sa gestion du saumon ?

 

Jean-Marie Bigard voit juste, qui souligne au détour d’un sketch asexué (y’en a, faut pas croire) qu’« on est passé de s’occuper des enfants à occuper les enfants ».
La faute sans doute à « to deal with », équivalent anglais de « s’occuper de » mais aussi de « composer avec »…
Toujours est-il que si tout est gérable, plus besoin de « s’occuper de » ni même de préciser ce qu’on gère.
Là où

Je m’en occupe

rassurait naguère,

Je gère

s’assoit sur ce qui restait de sentiment dans l’opération.

Logique (marchande) poussée à donf dans les commentaires sportifs.
« Bien gérer [sa course, un point important] » devient sans rire :

Il a su gérer.

Et ta sœur ?
Elle continue ses singeries à la caisse centrale.

Merci de votre attention.