Comment sortir la tête haute d’une sérénade sous le mauvais balcon ?

 

L’art de la romance est une chose qui se perd. Vous ne le savez que trop, une approche rebattue ou trop timide sera vouée à l’échec.

Aussi comptez-vous en mettre plein la vue, la jouer à l’ancienne, peaufiner vos rotrouenges, bref, ne rien laisser au hasard. Conscient que ce béguin-ci ne se représentera pas de sitôt, vous décidez de conter fleurette à l’objet de vos pensées sous ses fenêtres.

L’amour est aveugle ; voilà-t-il pas que vous vous plantez de balcon.

Votre empressement de midinette n’aura réussi à attirer que la virago mitoyenne ou le gros clébard côté pair. Qui, émoustillés par votre bel organe, en pincent désormais pour vous, tandis que le reste du voisinage se déleste des savates destinées d’ordinaire aux matous du quartier.

Il est vrai qu’à cette heure, la rue peu éclairée ne favorisait pas la localisation à coup sûr de la balustrade visée. Mais allez expliquer ça au clebs et à la marâtre enamourée.

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Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en crooner civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Pour votre sérénade, choisissez le jour de la Fête de la musique. Tout le monde marchant sur les plates-bandes de tout le monde, vous aurez beau jeu de faire croire que ce n’était pas vous l’interprète, à l’instant.

 

♦  Si l’on vous interpelle des étages, prétextez que vous vous adressiez au rez-de-chaussée. Raison pour laquelle personne ne vous saute dans les bras du reste.

 

♦  Sous-traitez avec les Mariachis Associés. Une filiale sous chaque balcon, impossible de louper le coche ! Vous éviterez en sus de vous user la voix.

 

♦  Repérez des logements vacants pour vous entraîner. Vous vous habituerez ainsi au silence glacial accueillant vos derniers trémolos (y compris lorsque vous serez sous le bon balcon).

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

S’enticher

 

Verbe de la bluette par excellence, s’enticher se dit de deux personnes que tout oppose, dont l’âge, la condition sociale, les passe-temps respectifs compromettent a priori l’union. Tel briscard s’entiche d’une jeunette, telle couguar d’un éphèbe : que n’entend-on pas dans les couloirs. La laideur d’un meuble dont la maîtresse de maison se serait entichée oblige même à changer de couloir, c’est dire.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Au XIIe siècle (éloignez les enfants), entechié signifie rien moins que « pourvu [d’une qualité ou d’un défaut] ». En 1539, le sens du participe est encore moins équivoque : « qui commence à se gâter [en parlant d’un fruit] » voire « corrompu par [un vice, de mauvaises opinions] ».

Car qui dit entechié dit teche, premier nom de tache, qui officiait alors humblement en tant que « marque distinctive ». En vieux français, on ne compte plus (les enfants, allez jouer ailleurs) les techier et tachier dans la conversation courante.
Certains y voient un emprunt au gothique taikns, « signe ». Tournés vers la Méditerranée, d’autres songent aux tardifs takka et tekka latins issus de taikns, bien que l’évolution sémantique de « signe » à « souillure », « marque sur la peau » ou « qualité (bonne ou mauvaise) » donne des boutons à beaucoup.

Tachier serait donc à rattachier plutôt au bas latin tagicare, rejeton de tangere, « toucher », plus particulièrement « en mouillant, en éclaboussant » (les enfants, ouste), la variante techier provenant de tigicare/tingere, « teindre ».

D’où l’expression consacrée :

– Et ta sœur ?
– Elle pisse bleu, t’as quelque chose à teindre ?

 

Enfin, si la route d’entechié a dévié vers entiché plutôt qu’entaché, sans doute le doit-on de manière subliminale à enticier, aïeul d’inciter. Toujours vicelards, les Zanglais utilisent encore to entice de même sens, tout droit venu d’intitiare forgé sur le titio latin (« tison ») dont nous jactâmes ici même.

Dans le fond, y’a pas de mal à s’enticher de s’enticher.

Merci de votre attention.

 

Pourquoi ne pas s’avouer ses sentiments profonds ?

 

Ceux que vous côtoyez ignorent pour la plupart tout le bien ou le mal que vous pensez d’eux. Regrettable autocensure. Certes, la nature de vos relations s’appuie sur une certaine réciprocité des sentiments : si x recherche votre compagnie, ce n’est pas pour vos beaux yeux mais parce que vous lui montrez, plus ou moins savamment, que vous l’appréciez itou.
Ça vaut aussi – et même surtout – lorsque vous ne pouvez blairer la personne. D’expérience, vous vous doutez que ce khôn d’y ne vous porte pas non plus dans son cœur. Vous en tireriez fierté d’ailleurs, si une mutuelle hypocrisie ne vous nimbait de honte à chacune de ses apparitions.

Or, au comble de la chamade comme au faîte de la détestation, vous aimeriez que les choses soient dites une fois pour toutes et sans détour. Si la politesse, les conventions sociales et autres billevesées vous en empêchent, prenez votre courage à deux mains et mettez les pieds dans le plat, votre main dans sa gueule, votre bouche dans la sienne – libre à vous.
Pour radicale qu’elle puisse passer de prime abord, votre petite mise au point vous vaudra à coup sûr l’admiration de tous, à commencer par celle de l’autre.
Mais, pour que votre franchise ne soit pas mal perçue, sachez vous entourer de précautions.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en puits de sincérité civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Il arrive qu’exprimer tout à trac votre transport laisse votre interlocuteur de marbre. Communément appelé « râteau », cette (absence de) réaction permet au moins de lever tout malentendu et de pouvoir le cas échéant passer à autre chose.
A l’inverse, il se peut que votre vis-à-vis s’étonne que vous déblatériez à son sujet car lui vous estime au plus haut point. Dans ce cas, pas de mauvais réflexe : au lieu de bredouiller que vous n’en pensiez pas un mot, allez jusqu’au bout et intronisez-le boulet sur-le-champ.

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♦  Si c’est un gros balèze auquel vous adressez vos remontrances, assurez-vous, avant d’entamer les hostilités, qu’il soit bien attaché et/ou tenu à chaque membre par des comparses ayant suffisamment petit-déjeuné. Privilégiez pour votre coming out le jour où vous le croiserez pour la dernière fois de votre vie, afin qu’il ne retrouve pas votre trace.
Idem si vous en pincez pour la femme du gros balèze.

 

♦  Si vous vous apprêtez à déclarer votre flamme à un sourd, révisez votre langue des signes. Sans quoi vous risquez, à l’instant fatidique, de confondre « je me consume d’amour » avec « tu me sors par tous les trous ».

 

♦  Enfin, il est si simple de changer de banquier ou de garagiste qu’eux aussi méritent d’entendre leurs quatre vérités. Mais sachant qu’il ne vous reste qu’une mensualité pour le prêt de la bagnole, faites-les mariner jusqu’au mois prochain.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.