Affligeant

 

Comme disait le poète :

On nous inflige
Des désirs qui nous affligent.

Le poète ne croyait pas si bien dire.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

De la famille des consternant et autres lamentable, affligeant nous plonge dans l’affliction, pas moinsse. Il est donc hyper-balèze, bien plus que son verbe, simple équivalent d’

accabler, faire souffrir.

Si l’épithète date de 1578, affliger apparaît en plein XIIe siècle au sens de « frapper durement, accabler, tourmenter ». Juste avant, on disait aflire ou aflicter. Ça faisait si peu sérieux qu’on a décrété que ça suffigeait. Quoiqu’afflictif se dit de peines « punissant physiquement » dans les tribunaux du XVIIe. L’adverbe afflictivement parvient même à passer la tête dans les dicos du XIXe.

 

Affliger n’est qu’un copier-coller (mais quand le modèle est parfait, pourquoi en dévier ?) du latin affligere, « jeter à terre, abattre », raccourci pour adfligere, dont le radical fligere (« frapper ») frappe par sa ressemblance avec l’indo-européen bhlig- de même sens. Fléau en descend en droite ligne, de même que conflit et le cousin infliger, dont on visualise mieux la violence du choc avec le complément d’objet direct dans ta gueule : « un coup sur le crâne ».

 

Quant à la bière Affligem, elle tire son nom de l’abbaye belge éponyme. Rien d’étonnant quand on sait que l’affliction est un acte d’humiliation typiquement monastique. C’est pas pour la ramener mais flageller provient – comme par hasard – de la racine indo-européenne bhlag-, qui correspond à l’angle du fouet que bhlig- n’arrivait pas à atteindre.

 

Notre affligeant actuel :

pénible en raison de sa médiocrité

se manifeste le plus souvent par la perte des chaussettes du sujet, lesquelles se barrent par instinct de survie en faisant kaï kaï.

Merci de votre attention.

 

Fruste/frustre/rustre

 

Ça doit être notre côté germanique refoulé (vive Maginot) : on préfère se mettre des r plein la bouche, quitte à passer pour des frustrés à la langue un peu fruste. Dans le genre rustres hein.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Sous l’influence du nom rustre, le locuteur lambda transformera l’épithète fruste en un « frustre » qui n’existe qu’aux 1e et 3e personnes du verbe frustrer. Et encore, faut déjà être méchant :

Qu’est-ce que ça me frustre ;
Je le frustre exprès.

Pente fatale qu’il est grand temps de remonter en rappel grâce à une mnémotechnique incroyablement affûtée.

 

Déjà, remettons-nous bien dans la soupière le sens de fruste :

mal dégrossi

en parlant de quelqu’un.

Celui de rustre, fort proche, appelle la confusion que c’en est indécent :

homme grossier et brutal.

Le bœuf, quoi. Pouvant donc légitimement se sentir frustré, ce qui n’arrange rien.

 

Heureusement, l’étymo nous prend par la main comme à l’accoutumée.

Fruste (premier sens : « rugueux, mal poli ») vient du latin frustum, alias « morceau », rapport à l’indo-européen bhreus, « casser » (→ briser, fracture).
Rustre (premier sens : « habitant de la campagne, paysan ») éclot du latin rusticus qu’on connaît par cœur.

Et hop ! Fruste : un seul r comme dans Frühstück, alias « manger un morceau » (plus exactement « morceau tôt », vive Maginot).
Rustre : deux r, comme dans rural.

 

Plus qu’un emmêlement de pinceaux, « frustre » est un cri du cœur : on y exorcise une frustration dont c’est peu dire qu’elle mène le monde.
Le meurtre ? Frustration incontrôlée.
L’art ? Frustration transcendée.
Le paradis ? Frustration d’être mortel (marche aussi avec les enfants).
L’amour ? La guerre ? Le progrès ? Frustrutiu, frastratia, fronstrontion.
Et le plus beau pour la fin : le capitalisme, machine à frustrer auto-nourricière.
Dans le genre rustre hein.

Merci de votre attention.