Bankable

 

Depuis le début de l’humanité, bankable brillait par son absence sans manquer à personne. L’« adjectif » se dit désormais d’un acteur dont le succès du film repose sur la seule trombine. Le plus élémentaire sens critique voudrait qu’on le rabroue par tous les moyens : « QUOI !? », « n’importe quoi » et autres gros rires gras.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Acteur bankable = retour sur investissement pour le producteur. Et surtout banquier content, c’est écrit en toutes lettres. De noblesse ?

Si le terme n’était que puant en soi, passe encore (combien de stars bankable se fourvoient ainsi dans des nanars retentissants ?). Mais il nous impose de surcroît son physique disgracieux.

 

Car comme tous les anglicismes these days, la vraie raison d’être de bankable n’est pas de se hausser du col mais de sonner assez exotique pour masquer le concept en VF. « Bancable », en l’espèce. Et pourquoi pas « cotable en bourse » ?

Sauf que bancable était déjà pris :

qui remplit les conditions nécessaires pour être admis au réescompte de la Banque de France.

Holy shit*, s’écria-t-on alors. Il nous fallut donc tout miser sur la sonorité de bankable. Et avec notre propre accent :

ban-nkéi-beul.

Il y a des films mieux doublés. Quoique, le prononcer

bênkbl

à l’américaine serait-il plus crédible ?

 

Manque de bol**, le bouche-à-oreille continue de fonctionner. Bankable ou pas, le public sait encore distinguer une daube royale. Il a même tendance à être plus indulgent quand le casting est peu vendeur.

D’ailleurs, qu’est-ce qui fait la qualité d’une œuvre ? L’impalpable. On ne vous le fait pas dire.

Merci de votre attention.


* Sainte merde.

** Mênkdbl.

 

« Préchauffer le four »

 

De même que les contes commencent toujours par « il était une fois », la plupart des recettes débutent par un sacro-saint « préchauffer le four ». Passons sur le temps de préparation dépassant allègrement celui du préchauffage susdit, ce qui stresse le cuistot et gâche du watt à tire-larigot. La véritable fumisterie réside dans l’emploi des termes. Préchauffage ? On vous ferait avaler n’importe quoi, à vous.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car qui dit préchauffage dit obligatoirement chauffage.

Or, à moins d’un antique four à pain alimenté au feu de bois, nous autres ne chauffons pas le four à proprement parler : nous nous contentons de l’allumer. En plus, un seul geste pour préchauffer et pour chauffer, c’est pratique.

fourImaginez maintenant qu’il vous prenne l’envie d’enfourner sans préchauffage. Par quelle formule commencer la recette ? « Chauffer le four » ? Vous enclencheriez plutôt la cuisson. Et si cuire = chauffer (règle de trois), précuire ne peut équivaloir à un préchauffer qui, nécessairement, le précède – sans quoi ça précuit que dalle et la tarte, c’est du caoutchouc.

D’ailleurs, quand on y réfléchit, cuire n’est pas tant chauffer le four que le plat qui y va.
Par conséquent, toute espèce de préchauffage est bonne à jeter au feu.

 

Montons d’un étage. Vous a-t-on jamais sommé de « préchauffer la plaque » en vue d’y poêler quelque chose ? Ou de préchauffer la matière grasse y afférente ? Voyez le ridicule, pour ne pas dire l’extrême gravité de la chose. « Chauffer la plaque » ou « faire chauffer l’huile », telle est la consigne ; toujours pas de préchauffage en vue.

 

Moralité : allumeeeeeeeer le feu, allumeeeeeeeer le feu, et faire danser les diableuetlesdieuuuux.
Et ils vécurent heureux et ils eurent beaucoup de tartelettes.

Merci de votre attention.

 

Ubiquité

 

Etre partout à la fois n’est pas donné à tout le monde. Dieu seul a le don d’ubiquité. Comme Il n’existe que dans les livres, on peut bien faire ce qu’on veut, y compris « s’ubiquiter » si ça nous chante.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’ubiquité donne d’autant plus d’ailes que sa prononciation diffère de celle d’équité, raide comme la justice. Notez d’ailleurs comme la langue est retorse : équité, équilibre, équinoxe mais équidistant et équilatéral. Dans le genre équivoque !

 

Ubiquité naquit « ubiquidité » en 1585 pour qualifier le fait d’« être présent partout ».

Les littérateurs de 1822 en donnent une définition plus précise :

faculté d’être présent physiquement en deux ou plusieurs lieux en même temps.

Car l’ubiquité, c’est comme les jeux vidéo : vous avez plusieurs niveaux.
Débutant : l’esprit se dissocie du corps, grâce à la méditation ou l’indigence des programmes télévisés.
Recordman du monde : la personne qui vous aime vous voit dans chaque voiture qui passe. Le don. On l’a ou on ne l’a pas.
Pour les joueurs confirmés, le marché anglo-américain propose également l’épithète ubiquitous.

 

Tout ça ne serait rien sans l’adverbe latin ubique, « partout, en tout lieu », où brille ubi, « où », raccourci pour quo-ibi, littéralement « quel endroit » (ibi = « y, là »).
Les Latins en raffolent, qui le mettent à toutes les sauces : ubilibet, « n’importe où », ubicumque, « en quelque lieu que », ubivis et ubiquaque, « partout ». Voire, dans le plus pur style marsupilami, ubiubi (qu’il n’est bien sûr palombienne de traduire).

 

Et sur nos côtes, aucun vestige d’ubi ? N’ayez crainte : le drôle a fait son chemin jusque jusque, terriblement bien planqué dans l’usque d’origine (us = ubs = ubis).
Si, dans une conversation à bâtons rompus, « oùsque » s’invite à la place de « où », vous saurez d’oùsque ça vient.

Merci de votre attention.