Habit

 

Si quelqu’un vient vous soutenir qu’habit donne habiter, ne le rhabillez pas pour l’hiver : il n’est pas habitué à cette langue de fous.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Tout ceci est cousu de fil blanc. On ne peut pas croire que ce soit un hasard, avec le h aspiré puisqu’on ne dit pas un-hasard, contrairement à un-habit. Lequel, comme habitude oui oui, descend d’habitus, « manière d’être, maintien ».

Mais d’où vient le mot latin ? De habere, « avoir ». Si bien qu’« avoir l’habitude » hein, faut pas pousser mémé dans les orties, surtout si elle est en short, ce qui ne risque pas de se produire car mémé ne s’habille jamais comme ça.
Anglais et allemand ont beau expectorer ce h dans leurs have et haben respectifs, les étymologues le jurent le doigt sur la couture du pantalon, rien à voir avec avoir. Notre auxiliaire chéri a poussé sur le radical indo-européen ghabh-, « prendre », à l’origine de capter, captiver, capturer ou encore (du point de vue de l’ennemi) geben et give, « donner ». Sans oublier l’exhibitionniste qui « offre à la vue » ce qu’il peut, en général sous le manteau.

 

Du reste, impossible de se faire avoir : habit naît abit en 1155. Ce « vêtement de religieux » devient simple « habillement » au début du XIIIe siècle. Huit siècles plus tard, « prendre l’habit » sous-entend celui de moine. Alors même que l’habit ne fait pas le moine. L’impénétrabilité des voies du Seigneur, voilà qui est bien trouvé.

 

Et habiter ? Un ourlet à habitare, fréquentatif de habere. Ainsi, habiter aurait très bien pu signifier habiller. Imaginez alors à quels glorieux contresens nous nous serions livré :

être habité par quelqu’un ;
habiller sa maison.

 

Au fait, si habiller a des l, il le doit à l’ancien verbe abillier, « préparer une bille de bois », soit un tronc (v. billot). D’où plus tard « (se) préparer » un minimum, histoire de ne pas sortir cul nu.

Dernier point : si quelqu’un vient vous soutenir qu’un habit « fait plus habillé » que d’autres, sortez-lui votre rire XXL.

Merci de votre attention.

 

Gap

 

Quand un pompeux de service parle de « gap générationnel », ça fait un peu cet effet-là :

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dans notre série « l’anglicisme for itself » (qui est le comble de la loose), il semble qu’on ait de nouveau franchi un gap. Rappelons que c’est pour ne pas dire fossé. Pour se défausser, quoi.

 

But why ?

Sans doute parce que fossé rappelle trop fosse, qu’on associe peu à de radieux souvenirs : fosse commune, fosse septique, fosse à purin ; n’en jetez plus.
Et la fosse d’orchestre alors ? Et les fossettes de votre chéri(e) ?

Le pire, c’est que ce rapprochement est 100 % justifié : fosse et fossé ne font qu’un, depuis le latin fodere, « creuser », foyer de fouir, fouiller, fossile et, en creusant plus profond, profond.

 

Gap s’en écarte en tout point. Cet homonyme du chef-lieu des Hautes-Alpes et d’une marque de frusques a suivi une route plus glorieuse dans la langue de Shakespeare, où il désigne un « espace vide » ou une « brèche », fruit du verbe to gape, « bâiller, béer ».

 

De manière plus terre-à-terre, l’attirance du g de générationnel n’est sans doute pas pour rien dans le succès de gap.

 

D’accord mais is it a reason ?

A ce compte-là, supplantons tous les mots patibulaires par leur équivalent outre-Manche : avoir un hole de mémoire, la bump des maths, un hair dans la main, la crotte au bottom.
Pour generation, heureusement, c’est bonnet white et white bonnet.

Un salut amical aux habitants de Saint-Maur-des-Gaps.

Merci de votre attention.

 

Accoutrement

 

Visez accoutrement et osez dire qu’accoutrer ne bat pas à plate couture ses coreligionnaires attifer, saper et fagoter. As de pique aussi, parce qu’il n’a pas de verbe à son nom.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il suffit d’accouter comment les Anglo-amerloques savourent encore leurs accoutrements et utilisent tel quel le verbe to accoutre (ou accouter, selon la berge).

Sens vieilli :

(se) vêtir avec une élégance recherchée,

plus couramment

(se) vêtir de façon comique, bizarre, à la manière d’un étranger,

autant dire

se déguiser

ou au contraire

(se) vêtir de façon misérable,

tout lui va.

Le pronom réfléchi a tendance à se planquer, car on n’imagine pas l’accoutré en train de s’accoutrer de son plein gré.

Par ailleurs, en Touraine, « accoutrer la lessive » revient à ranger le linge et s’accoutrer se lier avec quelqu’un.

 

L’élasticité d’accoutrement ne date pas d’avant-hier.

XIIIe siècle : « mettre en place, disposer » ; 1509 : « orner, décorer » ou avec le pronom « se vêtir, se parer » ; 1525 : « préparer » en parlant de bouffe ou de terre cultivable ; 1549 : « maltraiter, dire du mal de qqn ».

 

On le doit sans un pli au latin populaire accosturare, anciennement ad-cons(u)turare, « raccommoder ». Les points de suture sont plus visibles dans l’ancien verbe racousturer, qui dit bien ce qu’il veut dire.

D’autres penseront plutôt au vigneron et à son coutre, grand-papa de notre couteau, qui aurait comme qui dirait servi à « préparer », ouvrant la voie à « parer, vêtir ». Pour le moins tarabiscoté.

Pour couper court, il suffit de regarder comment coudre est cousu hein.

Merci de votre attention.

 

Frigo

 

Boââh mais frigo, ça vient de Frigidaire, tout le monde sait ça, faut arrêter…

Voilà l’étymo dont vous vous contentez généralement, mes pauvres moutons. Un ourlet à la marque déposée, comme pour régulier (réglo) ou mécanicien (mécano). Les anglophones eux-mêmes ne disent-ils pas familièrement fridge (de « Fwidgidaiwe ») ? Merci, au revoir m’sieu-dames.
Alors vous, vous laisseriez les choses en plan et le frigo grand ouvert ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Bé oui, pourquoi justement « Frigidaire » ? Vaguement à cause de réfrigérateur, non ? Me dites pas que le mot vous est inconnu (c’est Inuit ça quand même). Il ne vous aura pas non plus échappé que la bête sert à réfrigérer la boustifaille, et non les nouveaux-nés destinés, eux, au congélateur (ou congélo, décidément, que de tendresse dans ces petits noms). Le verbe, intact depuis le refrigerare latin (« refroidir, rafraîchir »), est venu du « froid » (frigus), ou plutôt des ceusses avec qui on était en froid, à savoir les Grecs (ῥῖγος, de même sens).

Quoique rien n’eût été possible sans l’entremise de sriges-, lointain radical indo-européen (encore lui) dont la seule sonorité évoque ce à quoi on n’a pas envie de se frotter. A rapprocher de la rigueur de l’hiver alors ? Beuh exactly. Sans compter, of course, toute la smala des frais, froid, frisquet, frisson, frimas, frileux, frigorifié et même frigide – ce qui ne réchauffe point l’ambiance.

Résultat, quand General Motors commercialisait son Frigidaire dans les années folles, elle ne faisait que recycler le frigidarium, « partie la plus froide des thermes romains ».

 

Mais le plus tordant, c’est que d’après tous les bons dictionnaires latins, frigo, 1e personne de frigere, peut signifier également « je fris ». J’fais griller, quoi ; Monsieur Graillon, en somme.

Et c’est pas tout. Hors la poêle, on trouve aussi frigere dans le sens de « sauter bruyamment ». Sans rire hein ! Ç’a d’ailleurs donné fringuer, en ancien français (« s’agiter en dansant, gambader »). Qui nous vaut les actuels fringant et fringues (« habits pour aller fringuer », on ne peut rien vous cacher).

 

Le froid, suffit de se fringuer en conséquence, pas la peine d’en faire tout un plat.

Merci de votre attention.