Gens

 

Pris individuellement, les gens redeviennent tout à fait fréquentables. Soit dit sans vouloir généraliser.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si généraliser est cul et chemise avec gens, tout ça ne serait-il pas famille ?
Précisément.

En latin, gens (prononcé [geːns] comme dans [Mercedes-Benz]) désigne le clan, le

groupe de tous ceux qui se rattachent par les mâles à un autre ancêtre mâle commun,

autrement dit le géniteur, celui qui a les clés de la Merco.

Quant au gentleman, s’il est si gentil, c’est avant tout parce qu’il est « bien né » : gentilis, cousu à même la peau de gens, « de la même famille ou clan ».

 

Certes mais pourquoi gens est-il invariablement pluriel ? Parce qu’on imagine mal « un gens » ou pire « un gen ». D’ailleurs, un gendarme n’est rien sans ses collègues « gens d’arme ». Forcément des fliquettes, comme l’atteste la survivance du féminin « bonnes gens » ou « petites gens ». Pour une fois que la testostérone ne l’emporte pas sur les œstrogènes, arrêtons de croire que les gens sont charmants. Les gens sont terribles.

 

Fin Xe pourtant, le mot est encore singulier. Il faut dire qu’on l’écrit alors gent, « espèce » bien conservée dans son bocal. Ainsi La Fontaine évoque-t-il

la gent trotte-menu

en parlant des souris.

Génial, non ?
Précisément.

Si l’ingénieur « crée » des engins, la puissance créatrice du génie lui est bien supérieure.
C’est l’indo-européen gene- qui génère tout le reste. Pour faire genre, on a raboté un e au verbe. Et comme on avait du rab de d, on en a profité pour engendrer gendre.
C’est après que ç’a dégénéré.

Merci de votre attention.

Gap

 

Quand un pompeux de service parle de « gap générationnel », ça fait un peu cet effet-là :

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dans notre série « l’anglicisme for itself » (qui est le comble de la loose), il semble qu’on ait de nouveau franchi un gap. Rappelons que c’est pour ne pas dire fossé. Pour se défausser, quoi.

 

But why ?

Sans doute parce que fossé rappelle trop fosse, qu’on associe peu à de radieux souvenirs : fosse commune, fosse septique, fosse à purin ; n’en jetez plus.
Et la fosse d’orchestre alors ? Et les fossettes de votre chéri(e) ?

Le pire, c’est que ce rapprochement est 100 % justifié : fosse et fossé ne font qu’un, depuis le latin fodere, « creuser », foyer de fouir, fouiller, fossile et, en creusant plus profond, profond.

 

Gap s’en écarte en tout point. Cet homonyme du chef-lieu des Hautes-Alpes et d’une marque de frusques a suivi une route plus glorieuse dans la langue de Shakespeare, où il désigne un « espace vide » ou une « brèche », fruit du verbe to gape, « bâiller, béer ».

 

De manière plus terre-à-terre, l’attirance du g de générationnel n’est sans doute pas pour rien dans le succès de gap.

 

D’accord mais is it a reason ?

A ce compte-là, supplantons tous les mots patibulaires par leur équivalent outre-Manche : avoir un hole de mémoire, la bump des maths, un hair dans la main, la crotte au bottom.
Pour generation, heureusement, c’est bonnet white et white bonnet.

Un salut amical aux habitants de Saint-Maur-des-Gaps.

Merci de votre attention.

 

Age

 

A quatorze ans et deux mois, pourquoi ne claironne-t-on plus son âge comme à six ans et demi ou à huit ans trois quarts presque neuf ? En voilà de la métaphysique qui remue, mine de rien.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Age désigne un nombre d’années au compteur. Mais aussi une longue période définie après coup par les historiens : âge de bronze, Moyen-Age

Bé justement, en plein XIIe et XIIIe siècles, avant l’âge moderne, quel était le mot ? ou , eh ! Conscient qu’on n’irait pas loin au scrabble avec ça, l’on a finalement fait macérer la chose en äage ou aage. Voire edage comme de l’autre côté de la Manche, jusqu’à ce que Messieurs les Anglais adoptent age à leur tour.
Observez cet edage primitif et osez me dire que vous n’y voyez pas la marque du bas latin aetaticum, dérivé d’aetatem dérivé d’aetas (qu’on retrouve dans éternité), réduction d’aevitas dérivé d’aevum (qu’on retrouve dans longévité).

 

Le tout a, une fois de plus, poussé le long d’une racine indo-européenne, aiw- (« force vitale, vie, éternité »). A laquelle Messieurs les Anglais doivent leur ever et leur always, by the way.
Aux ceusses qui vous imposeraient une « limite d’âge », rétorquez donc « éternité », ça leur fera les pieds.

 

Quant aux gens d’« un certain âge » ou « personnes âgées » ou « troisième âge », on euphémise pour ne pas leur faire de peine. C’est idiot : autant appeler un vieux chat un vieux chat, puisqu’on prend tous de l’âge dès la naissance, mes bébés. Et neuf mois plus tôt même.
Si bien que les six ans et demi de tout à l’heure font déjà sept ans un quart en réalité.
Ça nous rajeunit pas, dites donc.

Merci de votre attention.