Estimons-nous heureux, mes bien chers frères, de ne pas nous trouver dans les chaussures du zexpert cravaté venu expliquer, à la télévision française, à une heure de grande écoute, aussi naturellement que s’il beurrait une tartine, que nous avions
un système ferroviaire au bord du collapse.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Au vu de l’état d’énervement chronique des cheminots comme des usagers, on acquiescera sur le fond sans sourciller. Contentons-nous de railler la forme – sans mauvais calembour. Voilà une conclusion possible sur laquelle tout le monde se quitterait bons amis et sans en faire tout un cheese.
Sauf qu’à toujours dissocier contenant et contenu, on perd de vue l’essentiel, les cocos : le langage est insidieux.
Celui qui déroule ainsi son discours bien rodé sait ce qu’il fait. Caser « collapse » en lieu et place de son homologue « effondrement », ça n’est pas seulement utiliser un mot-pour-faire-genre-alors-qu’il-existe-déjà-en-français, c’est évacuer le problème, ni plus ni moins.
« Collapse » est censé hypnotiser juste assez le téléspectateur pour le dispenser de réfléchir plus avant.
Car dans « collapse » tout est bon : léger parfum d’exotisme, voire de science, fruit d’une analyse en profondeur dudit système par des gusses qui en ont dans le ciboulot pour parler comme ça. Inoffensif et sans les inconvénients d’effondrement, avec son suffixe franchouillard marquant l’action en train de se faire, peuh.
Le politiquement correct nous avait habitués aux détournements lexicaux les plus patents. « Collapse » bat des records : le réel glisse dessus comme sur le plumage d’un canard.
Sans doute vous êtes-vous déjà bidonné à l’écoute de deux autochtones causant à bâtons rompus dans un sabir quelconque et lâchant de temps à autre un mot franco-français au milieu d’une tirade. « Au bord du collapse » est au moins aussi ridicule.
Si ça continue comme ça, va y avoir des nervous breakdowns.
Merci de votre attention.