« Au bord du collapse »

 

Estimons-nous heureux, mes bien chers frères, de ne pas nous trouver dans les chaussures du zexpert cravaté venu expliquer, à la télévision française, à une heure de grande écoute, aussi naturellement que s’il beurrait une tartine, que nous avions

un système ferroviaire au bord du collapse.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Au vu de l’état d’énervement chronique des cheminots comme des usagers, on acquiescera sur le fond sans sourciller. Contentons-nous de railler la forme – sans mauvais calembour. Voilà une conclusion possible sur laquelle tout le monde se quitterait bons amis et sans en faire tout un cheese.

Sauf qu’à toujours dissocier contenant et contenu, on perd de vue l’essentiel, les cocos : le langage est insidieux.

Celui qui déroule ainsi son discours bien rodé sait ce qu’il fait. Caser « collapse » en lieu et place de son homologue « effondrement », ça n’est pas seulement utiliser un mot-pour-faire-genre-alors-qu’il-existe-déjà-en-français, c’est évacuer le problème, ni plus ni moins.
« Collapse » est censé hypnotiser juste assez le téléspectateur pour le dispenser de réfléchir plus avant.

Car dans « collapse » tout est bon : léger parfum d’exotisme, voire de science, fruit d’une analyse en profondeur dudit système par des gusses qui en ont dans le ciboulot pour parler comme ça. Inoffensif et sans les inconvénients d’effondrement, avec son suffixe franchouillard marquant l’action en train de se faire, peuh.

Le politiquement correct nous avait habitués aux détournements lexicaux les plus patents. « Collapse » bat des records : le réel glisse dessus comme sur le plumage d’un canard.

 

Sans doute vous êtes-vous déjà bidonné à l’écoute de deux autochtones causant à bâtons rompus dans un sabir quelconque et lâchant de temps à autre un mot franco-français au milieu d’une tirade. « Au bord du collapse » est au moins aussi ridicule.

 

Si ça continue comme ça, va y avoir des nervous breakdowns.

Merci de votre attention.

 

La pointe de l’actu

 

A l’heure du tout-informatique, on pourrait penser que la pratique se perd. Du tout. Certains journaleux persistent à arborer leur stylo à l’écran et on ne les voit jamais s’en servir.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Archétype du stylo-bille greffé à la main : Henri Sannier. L’homme qui, bien avant l’arrivée des tablettes numériques (on n’en sort pas), vous recommandait de « bien le noter sur vos tablettes », sans qu’on sache encore aujourd’hui à quoi il faisait allusion :

Dans le genre décontracté, le petit Louis Laforge, pas mal non plus :

Sans faire injure à Riri et Loulou, la palme du signe extérieur de professionnalisme (« top crédibilité », persifleraient les Guignols) revient néanmoins au regretté Jean-Luc Delarue. Ah le porte-bloc à Delarue.

La sous-exploitation de l’attirail fait peine à voir. Un trait en guise de « ça c’est fait », sans autre forme de procès.

 

On conçoit que le stylo de l’homme-tronc lui permette de ciseler ses textes avant la grand-messe. Elagage et raturage sont les deux mamelles du précieux instrument, on ne revient pas là-dessus. Mais que ne le lâche-t-il pendant ? Comme s’il pouvait biffer le prompteur ! Quant au papier de secours mis de côté à chaque transition entre deux sujets, on voit mal comment il pourrait croiser la route dudit stylo.

Imaginez que le garagiste vous tende sa louche encore poisseuse de cambouis en même temps que la facture, ou que le dentiste vous fourre son diplôme sous le nez en vue de vous rassurer sur la qualité du détartrage. Eh ben c’est totalement pareil : y’a pas besoin.

 

Porté de manière ostensible (pour ne pas dire ostentatoire) devant la caméra, le stylo fait au pire office de grigri, au mieux occupe les mains comme une clope.
Frimer tue ?

Merci de votre attention.