Glabre

 

Glabreté a bien du mal à pousser sur glabre. Pas de substantif non plus pour le port de la moustache ou de la barbe. On en déduit qu’en matière de poils, la norme n’existe pas.

Mais revenons à nos mentons, moutons.

Glabre est très pratique pour dire « dépourvu de poils ». Il existe par lui-même, contrairement à « impoilu », « apoilu » ou « dépoilu » qui tous passeraient pour des antonymes notoires. Imberbe a fait son trou, certes, mais son hérédité barbue ne trompe personne.

Deuxième avantage, glabre ne qualifie pas seulement le visage masculin mais aussi chaque partie du corps potentiellement velue : bras, jambes, torse… Seuls les dessous de pied, yeux, ongles et nombril sont glabres par nature. Les paumes restent sujettes à caution, les cas de poil dans la main n’étant pas exceptionnels.

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Malgré toutes ses qualités, glabre n’est officiellement admis entre givrer et glaçage qu’en 1835. Il piétinait pourtant dans l’usage depuis trois cents ans. Et sans doute davantage, vu sa proximité copaincommecochonnesque avec le latin glaber. Lequel, promu « jeune esclave », avait l’insigne honneur de se foutre à poil s’épiler pour le bon plaisir de ses maîtres.

Glaber faisant glabri au génitif comme liber fait libri et l’aber fait l’abri, on voit comment e et r ont échangé leur place. Ils ne sont pas les premiers, si ça se trouve. Ce l par exemple. Sûrement une inversion au sein de scalpere (« gratter, creuser »), sculpté sur l’indo-européen (s)kel, « couper » (→ culter, « couteau »). Par la barbe du Grand Manitou, ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Hypothèse renforcée par le cousinage de glaphô/glyphô en grec, « gratter, creuser » derechef (→ hiéroglyphe).

 

Mais l’indo-européen ghladh-, « lisse, luisant », tient la corde. C’est en anglais que sa progéniture est la plus impressionnante : glad (à l’origine, « irradiant de joie »), glass, gold… jusqu’à yellow dites donc !
D’ailleurs, jaune n’est pas seulement l’équivalent de ce dernier mais son jumeau, né du latin galbinus, petit frère de galbus (« vert pâle, jaunâtre »).

En regardant glabre comme ça, dans le blanc des yeux, on ne l’aurait pas cru.

Merci de votre attention.

 

Immeuble

 

De ce côté-ci de l’Atlantique, les buildings d’en face sont source d’infinies railleries. Mais ceux qui vivent dans ces constructions (littéralement) pourraient à bon droit se gausser de notre accent fécal. Building prononcé comme bulldozer ? Allons donc. Et build alors ? Et d’abord, nous sommes-nous seulement regardés, avec nos immeubles ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Bien que ceux-ci ne s’étirent guère que sur deux étages (plus rez-de-chaussée), les seuls complexes à avoir ce jour seront d’ordre étymologique. Il suffit d’inspecter les fondations d’immeuble pour piger que ça urge.

 

Avant de rouler des mécaniques en tant que

bâtiment urbain à nombre plus ou moins important de niveaux destiné à abriter des appartements, des installations professionnelles ou des bureaux,

est immeuble

ce qui ne se meut pas.

A ce compte-là, une statue, une maison, Michel Drucker est un immeuble.
Pas le terrier, creusé par définition dans de la terre meuble.
Quant au déplacement de meubles cher aux voisins du dessus, il termine de rappeler l’étroit cousinage de meuble avec mobile.

C’est d’ailleurs immoble qui sort de terre vers 1200. Evidemment, il ne tient pas en place et devient immeuble en 1319, escamotant pour le coup mobilis, contraction latine de movibilis, tiré du verbe movere auquel on doit mouvement, amovible, émouvoir et, de l’autre côté de l’Atlantique, move et remove.

Dans le feu de l’action, movere s’est mué en movitare, lequel a muté en mutare. Movere a aussi mis bas le fréquentatif motare, qui n’en finit pas d’exploser.

 

Comme les prix de l’immobilier du reste.

Merci de votre attention.

 

Caractère

 

Un caractériel se caractérise par le fait qu’il s’exprime en gros caractères : voilà une entrée en matière qui ne manque pas de caractère, avouez.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A priori comme ça, tout repose sur l’idée d’une chose prégnante, remarquable, laissant à la foule ébahie une impression qui aide à la définir, précisément.

Le mot apparaît dès 1274 sous la forme « karactere ». Un siècle passe et c’est une « caratere » que l’on découvre en guise d’« empreinte » (on aurait voulu entretenir la confusion avec cratère qu’on ne s’y serait pas pris autrement).
Quant au « signe d’écriture », il débaroule en 1550 sous les traits de « carathere ». La graphie moderne n’a plus qu’à s’imposer à la fin du XVIe siècle.

 

Fallait s’en douter, character était déjà une « manière d’être » chez les Romains. A telle enseigne qu’en anglais, un character n’est autre que notre « personnage » de fiction.
Maaaais on ne vous la fait pas, c’est là le sens figuré.
La « marque au fer rouge » sur un animal, voilà le caractère du tout début.
Le latin l’avait chouravé en douce au grec kharakter (« marque gravée »), de kharassein (« graver »), d’après kharax (« pieu »). Soyons pointus. Merci qui ? L’indo-européen ghers-, « gratter, rayer ».

 

On vous voit saisi d’un gros chagrin à l’idée que caractère soit le seul de sa catégorie, qu’il n’ait ni frères et sœurs, ni cousins-cousines et autres chouineries du même seau.
Et le grand « échalas » ? Certes altéré d’échelle mais surtout de l’ancien français escharat… Ça ne vous rappelle pas un petit pieu quelque chose ?
Allez, c’est fini…

Merci de votre attention.