« Le barde »

 

De même qu’y’a toujours un gratteux, il se trouve invariablement un journaleux pour qualifier de « barde » un chanteur muni d’une guitare et trouver cet anachronisme du dernier chic.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Un synonyme de Cabrel ? Fin du fin : « le barde d’Astaffort ». Le scribe du dimanche au moins, c’est pas l’originalité qui l’étouffe. Le chanteur viendrait des Causses qu’il se serait fait introniser « barde des hauts plateaux », pouvez être sûr.

 

Et pourquoi pas ménestrel, pour changer ? Ou aède, ou troubadour ?
C’étions pas les vieux vocables qui manquent pour épicer la sauce. Et accessoirement, flatter la culture générale du lecteur.

Sur cette lancée, pourquoi ne pas s’attaquer aux autres corps de métier (qui nous ont rien fait non plus mais faut bien jeter son dévolu sur quelque chose) ?

Restaurateur = tavernier.
Chauffeur = cocher.
Pape = souverain pontife. Ah on peut déconner comme ça encore longtemps.

 

Pourquoi « le barde » a-t-il plus qu’un autre les honneurs du radotage papier de la presse ?

Mais, par Toutatis, à cause d’Astérix. Le regain de popularité du terme naît sans aucun doute au milieu du village gaulois. Dont le barde, faut-il le rappeler, est Assurancetourix ; antimodèle de barde s’il en est.

Or, quand un plumitif bombarde barde un interprète quelconque, l’expression se veut flatteuse, c’est ça qu’est fou.

 

Faut-il que cette figure solitaire et légèrement mystérieuse nous fascine pour qu’on la convoque à tout bout de chant ! D’ailleurs pendant ce temps-là, le « chanteur » fait grise mine.
Comment l’appellera-t-on, çiloui-là, au XLIe siècle ?

Merci de votre attention.

 

Les angles morts

 

Les chercheurs ont montré que, loin de n’utiliser que 10% de notre cerveau, nous le sollicitions en réalité en permanence. On se disait aussi : chez les khôns, il turbine à plein régime.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il y va des neurones comme des recoins du foyer. Ce centimètre carré derrière la porte, sous le radiateur, entre deux interstices, ne sera jamais foulé par vos savates. Sans parler de la quasi-totalité de la surface des murs et plafonds, seulement visitée par ces saloperies de mouches. Et pourtant, sans ces no man’s lands domestiques, ce ne serait pas tout à fait chez vous, hein dites.

Même dans l’exigu habitacle de la bagnole, certaines régions de l’accoudoir gauche ou de la banquette arrière demeurent totalement vierges, après plusieurs années de bons et loyaux services.

Et que dire du réseau autoroutier que le monde nous envie ? L’asphalte immaculé de la bande d’arrêt d’urgence : combien de fois le trajet Terre-Lune ?

Quant aux brins d’herbe de votre carré de jeu favori, ceux que vous avez dédaignés sans le vouloir se comptent sans doute par milliers.

 

Votre propre enveloppe charnelle tiens : pareil. Aux prochaines ablutions, recensez les parties du corps parfaitement inatteignables – y’aura des surprises. Pourquoi croyez-vous que les ostéopathes aient pignon sur rue ?

Et avez-vous songé au temps passé à regarder droit devant, et à manquer ce qui se passe dans votre dos ? Hein, sur toute une vie ?

 

De même, mettez une guitare dans les mains d’un prodige manouche ou du gratteux du coin et vous évaluerez rapidement la différence de potentiel à nombre de cordes et de doigts égal.

 

Terrifiant non, cette inexploitation générale ? Voilà le véritable gâchis – invisible qui plus est.

N’oubliez pas que la nature a horreur du vide, alors mettez-y un bon coup.

Merci de votre attention.

 

Vaut-il mieux repiquer sa seconde, un solo ou les haricots ?

 

Disons-le d’emblée : il est tout à fait possible de cumuler les statuts de redoublant, de musicien et de jardinier. Avoir la main verte n’est nullement incompatible avec l’amour du 4e art et du radiateur, loin s’en faut. Vous pouvez même, si vous êtes parvenu jusqu’à cette phrase sans bâiller, ajouter à vos passions pour une scolarité en dents de scie, les chorus et la grelinette, celle du pléonasme.

Néanmoins, s’il faut absolument choisir et correspondre à l’étiquette qu’on vous aurait collée, quitte à sombrer dans la monomanie, que repiquer prioritairement ?

 

Les esprits forts iront chercher la petite bête : si vous êtes déjà bachelier ou que vous poursuivez des études dans le secondaire, même chaotiques, l’occasion de repiquer votre seconde ne se représentera sans doute jamais. De même, si vous venez de quitter les bancs de la maternelle à l’heure où vous lisez ces lignes (syllabe par syllabe), ceux du lycée font partie d’un futur trop lointain pour vous concerner. Il y a un temps pour tout, nous sommes d’accord. Mais ‘scusez, la culture du haricot vert suit elle aussi un calendrier très précis, sans quoi les avortons de la future récolte seront si flapis que vous n’aurez même pas le cœur à les étêter. Quant à ce solo que vous vous targuez de pouvoir reproduire à l’inflexion près, collez-y-vous vite avant que la finesse de votre ouïe ne s’use sous le faix des ans.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en repiqueur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Repiquer votre seconde. L’obtention à moyen terme du baccalauréat évoqué ci-dessus est à ce prix. Mais qui vous dit que vous ne laissez pas l’amour de votre vie s’envoler ce faisant (car lui a eu la moyenne, ce faisan) ? Au nom de votre descendance, ne loupez donc cette année charnière sous aucun prétexte.

johnny

♦  Repiquer note à note ce solo légendaire vous vaudra une certaine aura, parfois même au-delà des murs de votre chambre. Sauf qu’à la longue, à trop vouloir imiter vos modèles, vous passerez aux yeux de tous pour un technicien sans âme. Votre oraison funèbre, au moins, sera vite expédiée.

 

♦  Vous pouvez enfin considérer, comme le vieux Voltaire, que l’essentiel est de « cultiver son jardin ». Pensez-vous vraiment qu’il soit bien sage de vous occuper de vos rames alors qu’on n’invente plus rien en musique et que l’échec scolaire gangrène la patrie ?

 

Le repiquage a peut-être ses vertus mais le monde continue de tourner, lui.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.