Dans quels moments éternuer (ou pas) ?

 

Vous vous prenez trop au sérieux. Heureusement, Dame Nature a tout prévu, qui se rappelle à vous au moment opportchééééééé.

Notez qu’il est tout à fait possible de retenir vos sphincters lorsqu’une envie se déclare ou suite à la meilleure de l’année. En revanche, une brusque variation du mercure et c’est l’éternuement irrépressible (pour les détails techniques, se reporter ici).

 

Dans certaines circonstances, ceci peut s’avérer gênant. Voire tout gâcher, notamment si les éclaboussures ne rencontrent pas de résistance. Humiliation dont il s’agit de vous prémunir.

A l’inverse, forcer le destin et le courant d’air peut parfois vous tirer d’un mauvais pas.

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en éternueur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Si, au moment de vous dire « oui » pour la vie, il n’y a que « ratatzu » qui vous vient et qu’en fait d’alliances, vous vous échangez des Kleenex, préférez les murs moins épais de la mairie ou du notaire.

 

♦  Cueilli(e) à froid par l’air un peu vif au sortir du module lunaire, vous risquez fort d’en rester à « thaT’SSSS ! » pour la phrase historique. Une combinaison thermo-ambiante et à vous la postérité.

 

♦  On vous filme en gros plan massacrant entonnant un hymne à même la pelouse gelée. Deux cas de figure : soit vous êtes la diva et à charge pour votre fidèle second de vous maintenir l’index sous le nez (car avec votre coffre, le banc de touche serait trempé), soit vous faites partie des joueurs et le chœur vous couvre de toute façon.

 

♦  Fraîchement élu(e) à la tête de la première puissance, lors de votre serment sur la Bible, arrangez-vous pour évacuer d’un « tchoummmmm » la bondieuserie finale, qui n’est pas obligatoire.

 

♦  Vous vous apprêtez à déclencher le feu nucléaire. Profitez de la caillure du bunker pour partir d’une petite crise de sternutation, histoire de repenser à tout ça à tête reposée.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Comment (ne pas) poser pour une poignée de main ?

 

Si la désaffection pour la politique gagne du terrain, ce n’est pas tant à cause de la fin des idéologies ou d’un concept du même seau que de la solitude de la poignée de main. Vous accepteriez, vous, de gravir quatre à quatre les marches du pouvoir si c’est pour vous retrouver serrant la pince d’un homologue (aussi embarrassé que vous), trois à quatre fois plus longtemps que nécessaire, sans le regarder, uniquement pour prendre à témoin une horde de Nikon en rut ?

 

Encore faut-il s’entendre sur l’expression « serrer la pince ». Car, pour prévenir toute photo floue et éviter que la torture ne se prolonge d’autant, vous vous contentez de tenir la main de votre hôte, dont la moiteur croissante ne doit pas vous empêcher de sourire. Le comble du pas naturel.

Il ne vous restera plus que la distance du couloir au salon où vous causerez droits de l’homme gros sous pour vous essuyer la paume contre un fémur, un poteau, l’interprète, aussi discrètement que possible. Autant dire que l’entrevue se déroulera dans un climat relativement peu favorable aux accords diplomatiques.

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Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en grand de ce monde civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Prévoyez un nylon palmaire ou du papier buvard couleur chair à usage unique pour chacun. Adieu la gêne, adieu les miasmes.

 

♦  Fournissez à la meute un photomontage de vous et votre vis-à-vis se déclinant en plusieurs versions : costume, tailleur, tunique (pour l’émir), avec pixels interchangeables selon les visages. Toute la presse publiera le même cliché à la une mais ça ne changera pas de d’habitude. Vous pourrez alors accueillir n’importe qui à l’abri des regards.

 

♦  Idem avec les caméras de télévision. Pour leur donner le biscuit voulu, engagez des sosies qui se salueront l’un l’autre à qui mieux mieux. Occasion toute trouvée pour les sosies de dictateurs de sortir enfin de l’ombre.

 

♦  Si le protocole exige des effusions prolongées au sortir de la grosse berline, vous remarquerez que la meute vous lâche la grappe lorsque vous l’y raccompagnez, immortalisant ce qu’elle sait pertinemment ne pas changer le cours de l’Histoire.
Faites donc de la venue de l’invité un non-événement : pas de tapis rouge, pas de frichti somptuaire, pas de poignée de main, c’est plus honnête.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Où étiez-vous le jour de votre naissance ?

 

Le souffle de l’Histoire vous électrise à chaque événement majeur survenant de votre vivant. Vous savez ainsi où vous vous trouviez lors du premier pas sur la lune, certain 11e jour de septembre ou lors de la dernière victoire d’un Français à Roland-Garros, selon la génération qui vous a vu naître.

Précisément, comment se fait-il que vous ne gardiez aucun souvenir du moment où vous vîntes au monde ? Etiez-vous occupé(e) à ce point ?
Consultez une population donnée sur la question, vous aurez invariablement affaire à 100% d’amnésiques.

 

Pas croyable, une distraction pareille. Il s’agit de votre entrée en scène, je vous rappelle – un jour à marquer d’une pierre blanche.
Retrouver des témoins capables de vous rafraîchir la mémoire s’impose.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en ex-nouveau-né civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Si vous avez partagé le placenta en colocation pendant neuf mois, demandez à votre jumeau de vous refaire le topo, il était aux premières loges.

 

♦  On peut dire que vous lui devez une fière chandelle. Mais – inconséquence, quand tu nous tiens – vous avez perdu tout contact au sortir de la maternité ! Lancez-vous à la recherche de la sage-femme, il n’est jamais trop tard pour exprimer votre gratitude.

 

♦  Prenez soin de tout consigner dans un journal intime dès le premier jour. Contrainte qui au surplus apportera à votre autobiographie une authenticité inattaquable.

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♦  Gardez le faire-part de votre naissance comme pièce à conviction. La candeur touchante avec laquelle vous y déclinez noir sur blanc vos type et identité garantira la sincérité de l’alibi.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Le pitch

 

Entre l’animateur et l’acteur d’un film quelconque, vient toujours le moment où celui-ci demande à celui-là d’en dévoiler « le pitch ». Puisse la datation au carbone 14 permettre aux linguistes du futur de déterminer avec précision quand, poutch, le terme est apparu. N’ayons foi qu’en la science.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Délaissant argument, histoire ou scénario (de la promo de papa que tous ces mots ringards), un sombre khouillon crut bon de sortir un jour « pitch », non du cartable (comme les brioches homonymes) mais du chapeau. Où alla-t-il le chercher ? Sûrement pas chez les anglo-saxons, où pitch signifie soit « résine », soit « something that is pitched » (autrement dit un piquet de tente ou assimilés), soit un jet (de pierre), soit la hauteur d’une note, soit au sens figuré un « degré » ou un « point ». Nothing qui ressemble de près ou de très très loin au résumé du film, à l’évidence.

En capillo-tractant un peu, sachant que la langue de Shakespeare désigne aussi par pitcher un lanceur au base-ball, on fera éventuellement le rapprochement avec le fait d’émoustiller son public en ne « lançant » que les trois phrases susceptibles d’esquisser l’histoire…

 

Encore plus fort que la cranberry déjà pressée ici : le mot français supplanté par un mot angliche non équivalent. Si c’est pas de la frime à la petite semaine ça, les cocos !

 

Face aux prochaines tentatives de « pitch », une petite pensée pour les piquets de tente (ou assimilés), les jets (de pierre), les notes, les degrés et les points.

Merci de votre attention.

Fulgurance #54

Les prénoms des saints qu’on fêtait avant que les jours d’armistice ne deviennent des jours d’armistice, ils sont passés où au fait ?

Mode dix-neuf-cents

 

Aussi casse-bonbon que le café deux fois sucré, la tondeuse du dimanche matin et le sachet qui lâche réunis : la date frappée du sceau de son siècle.
Mode vouée à disparaître dans les oubliettes de l’Histoire ? Accélérons le processus. Refaisons dix-sept-cent-quatre-vingt-neuf.

Mais d’abord, revenons à nos moutons, moutons.

De 100 à 900, on ne peut pas faire autrement. A partir de l’an Mil, d’aucuns, que la vieille terreur millénariste chipote encore (le nom savant de cette phobie, quelqu’un ?), gardent leur boulier des centaines. Et n’en démordent plus : onze-cents, douze-cents
Ben-voyons-mon-cochon.
Et pas la peine d’évoquer pour leur défense la Simca Onze-cents (ce vieux tas de tôle), digne héritière de la Simca Mille (ce vieux tas de tôle mais plus).

Coquetterie ? Caprice, oui !
Le truc ne s’applique en effet qu’au premier millénaire. Boâh, on peut à la rigueur trouver à quinze-cent-quinze-Marignan des charmes mnémotechniques. Ce sont bien les seuls. Depuis que l’an 2000 a déboulé, on en connaît qui se retrouvent bien enquiquinés. Pour l’instant, on ne s’en rend pas trop compte mais enfoncez-vous bien dans le crâne que dans cent ans, pour les historiens, nous serons en vingt-et-un-cent-quatorze.

 

D’ailleurs, enquérez-vous de leur date de naissance, à ces puits de science. Stratagème exactement inverse : l’élision des deux premiers chiffres. Et hop ! gommé, le poids des ans.

Je suis de 37.
Mais mon confrère est de 36, comme le Front Pop !

vous balancent-ils d’un air entendu. Et c’est reparti comme en 40.

Voyez la lâcheté du nistorien ? Certes, l’affaire fonctionne en cas de relative contemporanéité (aujourd’hui, on cause bien). Nous tous ou presque avons un pied dans le XXe siècle. Il ne viendrait à l’idée de personne de préciser quelles « années 60 ».
Ça passe encore de justesse pour le siècle précédent (« la guerre de 70 »).
Mais revenus au XVIIIe, il faut un événement particulièrement marquant, ou la rambarde d’un contexte, pour synchroniser nos montres. Rôbintiens : 89, justement. La Révolution ? Ou son bicentenaire ? Sachant qu’en sus, 1989 fut un millésime exceptionnel sur le plan historique, on n’est pas aidé.

 

Que les spécialistes (et même les non-spécialistes) raisonnent à l’échelle du siècle pour des raisons pratiques, très bien. Mais de grâce, basta avec ces lubies numérales.

Merci de votre attention.