Incomber

 

Allez expliquer à un enfant en bas âge le sens d’incomber. Vous pouvez toujours tenter de vous défiler, la tâche n’incombe à personne d’autre que vous.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Heureusement, en pareil cas, ces messieurs de l’Académie ont tout prévu :

être imposé, appartenir, revenir à [en parlant d’une charge, d’un devoir, d’une responsabilité].

Même pour les non physionomistes, incomber rappelle succomber. Au sens premier :

fléchir, s’affaisser, s’écrouler sous un poids, une charge qu’on n’a plus la force de soutenir.

Une histoire de poids, toujours.

 

On l’a oublié, et pour cause : au XVe siècle, incomber signifie encore « s’abattre sur ». Rapport au latin incumbere, « s’appuyer, peser sur ».

Quant à succumbere (alias sub-cumbere), c’est la même notion vue par l’autre bout : « s’affaisser sous ».

 

Incumbere n’est pas tombé de nulle part mais d’incubare, « être étendu, couché », formé sur l’indo-européen keu-, « pencher, plier ».

D’ailleurs, que vaut une incubation si l’œuf n’est pas couvé ? Tiens ben justement, couver (selon le principe du b qui vire en v) n’est autre que cubare qui a boyagé.
Et si le cubitus se termine en coude, c’est certainement pour pouvoir plier le bras. Sans ça, on aurait l’air fin.
Quant aux concubins, ils couchent ensemble, littéralement. Sans ça, ils auraient l’air fin.

Pire encore : dans la mythologie, incube et succube sont respectivement le « démon masculin, supposé abuser des femmes durant leur sommeil » et le « démon qui prend l’apparence d’une femme pour avoir des relations sexuelles avec un homme ».

Mieux vaut cacher tout ça à l’autre morveux.

Merci de votre attention.

Fulgurance #81

Si la mayonnaise n’existait pas, il faudrait être sacrément tordu pour l’inventer.

Poivre mouliné

 

Si cette appellation vous laisse de marbre, c’est que vous avez failli marcher, comme votre serviteur. Seuls sursauteront ceux pour qui le rite de l’assaisonnement est encore sacré : comment ça, « poivre mouliné » ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Par charité, on taira la marque du bocal incriminé. Tentons plutôt de piger pourquoi elle se décarcasse à dévier le cours de toute l’Histoire poivrière. Jusque-là en effet, on vendait le poivre moulu. C’est terminé, place aux jeunes, vive la Révolution, du passé faisons table rase et toute cette sorte de choses.

N’allez pas croire que les communicants maison ont laissé passer semblable boulette. Au contraire, les bougres ont dû cogiter rudement. Pour pavenir à la conclusion que mouliné avait un côté plus reposant, moins « roots » que l’imposante meule qu’on imagine, sous-entendait une plus grande finesse, un produit fini plus noble. Evacuée la machine, quelqu’un a mouliné spécialement pour vous, garantie supplémentaire d’un broyage authentique.

Tout ça à cause du moulin à légumes, mes pépères.

Vous serez d’accord que pour réduire le poivre en poudre, on utilise un moulin. Lequel n’a jamais servi qu’à moudre, rââh ben oui ça change tout. L’Académie est formelle, si on devait le mouliner, faudrait déjà passer le poivre au moulin à légumes, qui se décline en deux sous-genres : le presse-purée et le bjît-bjît (pour la soupe). Encore ces engins ne peuvent-ils que micher ou mixer, par l’entremise de votre bras qui, lui seul, mouline. Eventuellement Charlot, avec sa canne, fait des moulinets. Le poivre, lui, se moud, c’est tout. Laissons donc les pubeux bjît-bjîter tant et plus, et ramasser un par un les grains étalés par terre. Z’auront l’air fin, à quatre pattes dans la cambuse.

Lors d’emplettes futures, si vous trouvez du café « mouliné » en lieu et place du café moulu, sautez pas au plafond, c’est le poivre qu’a commencé.

 

Qu’incidemment l’Académie voie en mouliner un verbe « familier » peut susciter la moue. La vénérable institution compterait-elle secrètement redonner à moudre son lustre perdu ? T’as raison ma grande, ça va mieux en le disant, vu ce qui circule sur certaines étiquettes.

Merci de votre attention.