Comment proposer votre patelin au fabricant du Monopoly ?

 

Vous aviez toujours cru que le Monopoly (le seul, l’unique, le vrai) ne pouvait se jouer qu’avec la rue de la Paix, la gare de Lyon et le boulevard Saint-Michel. Jusqu’à ce que vous appreniez que chaque métropole peut, sur simple demande, avoir son Monopoly en édition limitée.

De quoi ? Paris n’est donc pas le centre de l’univers ? Les auteurs de ce sacrilège mériteraient d’aller directement en prison. Sans passer par la case départ et sans recevoir 20 000 F.

 

Une fois la colère passée, vous commencez à entrevoir l’avantage d’une telle permissivité. Et si c’était l’occasion de redorer le blason de votre propre bled ? Vous seriez prêt à hypothéquer tout ce que vous pouvez pour faire connaître au monde les rues qui vous ont vu grandir.

Seul hic : il n’y avait que deux rues, dans votre bled.

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Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en joueur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Avec ses deux cases, votre édition de poche fera sensation. La boîte sera excessivement peu chère et les parties ne s’éterniseront plus, ce qui est – il faut bien le dire – le défaut des éditions classiques.

 

♦  A défaut d’avenues et de boulevards, sans parler des gares, pourquoi pas une communauté de villages, lieux-dits et hameaux ? De belles occasions de s’écharper autour du plateau en perspective.

 

♦  Au diable l’avarice et le plan local d’urbanisme. Construisez à la hâte autant de rues que nécessaire. La facture pour le contribuable sera largement compensée par les ventes du jeu.

 

♦  Si c’est la modestie qui vous retient, pensez aux habitants du Sahel ou de la Terre-Adélie, privés à jamais de Monopoly local.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Comment dépenser l’argent qu’on n’a pas ?

 

C’est déjà chiant d’être pauvre, si en plus il faut se priver !

Postulat qui dut trotter dans l’esprit du premier banquier. Notez qu’avant son invention, il était rigoureusement impossible de dépenser du pognon que vous n’aviez pas.

C’est pourquoi le bougre a procédé par étapes. D’abord, le découvert autorisé. A l’instar de la jauge d’essence permettant de « rouler sur la réserve » en dépit des voyants qui font ding-ding, vous pouvez vous mettre dans le rouge en cas de nécessité. C’est « autorisé ».

D’ailleurs,

quand y’en a plus, y’en a encore.

Sagesse populaire là encore inattaquable.

 

Ensuite, le crédit. Endettez-vous, la banque se charge de découper le magot en tranches suffisamment fines pour se servir au passage. Le taux d’intérêt, ça s’appelle. Il faut bien que monsieur le banquier vive. Et dépense à son tour du blé virtuel.

Les esprits forts rétorqueront que sans ça, vous n’auriez pas de voiture, ni de toit, ni de quoi retaper la voiture, ni le toit. Sans parler du petit dernier qui retape sa sixième.

Bref, vous vivez au-dessus de vos moyens. Ne les perdez pas pour autant.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en emprunteur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Jouez au Loto. Vous passerez le restant de vos jours à dépenser votre argent en tentant votre chance dans le fol espoir d’en dépenser plus encore – au risque de dépressions sévères. Mettons que vous gagniez : vous passerez le restant de vos jours non pas à dépenser votre argent mais à ne plus savoir qu’en foutre – au risque de dépressions sévères.

 

♦  Allez-y franchement et prenez des crédits sur tout. Rien ne sera jamais à vous mais bah, tant qu’on a la santé.

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♦  Lancez-vous dans la fausse monnaie.

 

♦  Rachetez la banque. Pognon frais garanti tous les mois.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Dèche

 

Les zenquêtes le montrent : notre hantise la plus largement partagée – khrîse aidant – est de tout perdre. Et bang ! la dèche. Que d’avantages pourtant, si l’on y pense. Dormir à la belle étoile, économiser loyer, impôts, mener une vie de patachon…

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dèche ne désigne pas seulement des comptes dans le rouge mais aussi une pénurie, toujours embêtante quoique momentanée :

Y’a jamais de basilic punaise, c’est la dèche.

On suppute, en observant la bestiole immobile aux jumelles, qu’elle pourrait être l’abréviation populaire de déchéance. Bingo, si je puis me permettre : son premier sens, attesté en 1835, correspond à une « perte au jeu ». Dix ans plus tard, au prix d’un triste dénouement, c’est un « dénuement ».
Les bons dicos la font donc choir de déchoir, formé sur le latin cadere, « tomber » (songeons à décadence). La progéniture du verbe est si nombreuse que dans la dèche on est de facto exempté d’impôts c’est bien ce que je disais :

Casus, déverbal de cadere : hasard (→ occasion, cas) ;

Incidere : tomber par hasard (→ incident, incidemment, coïncidence) ;

Recidere : retomber (→ récidive) ;

Occidere : tomber mort (→ occire et toute la famille des homicides, fratricides, suicides… mais aussi l’occident bien sûr, là où le soleil se couche !)…

Y’en a encore des cascades.

 

Le succès inaltérable de dèche prouve que le français ne craint décidément personne en matière d’apocopes. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Proposons sur le même mode déf (pour déficit, défaut de paiement), hypo (-thèque), pète (-rin), beuse (-oin, sans rapport avec la pauvreté du buzz), avoir bite-cout (« n’avoir que sa bite et son couteau ») et être groj (« Gros-Jean comme devant »). A ne surtout pas confondre avec toucher le grol (pour gros lot).
De même, on évitera baraka en raison du contresens possible « avoir la baraque à payer ».

Merci de votre attention.