Comment (ne pas) poser pour une poignée de main ?

 

Si la désaffection pour la politique gagne du terrain, ce n’est pas tant à cause de la fin des idéologies ou d’un concept du même seau que de la solitude de la poignée de main. Vous accepteriez, vous, de gravir quatre à quatre les marches du pouvoir si c’est pour vous retrouver serrant la pince d’un homologue (aussi embarrassé que vous), trois à quatre fois plus longtemps que nécessaire, sans le regarder, uniquement pour prendre à témoin une horde de Nikon en rut ?

 

Encore faut-il s’entendre sur l’expression « serrer la pince ». Car, pour prévenir toute photo floue et éviter que la torture ne se prolonge d’autant, vous vous contentez de tenir la main de votre hôte, dont la moiteur croissante ne doit pas vous empêcher de sourire. Le comble du pas naturel.

Il ne vous restera plus que la distance du couloir au salon où vous causerez droits de l’homme gros sous pour vous essuyer la paume contre un fémur, un poteau, l’interprète, aussi discrètement que possible. Autant dire que l’entrevue se déroulera dans un climat relativement peu favorable aux accords diplomatiques.

poignée2

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en grand de ce monde civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Prévoyez un nylon palmaire ou du papier buvard couleur chair à usage unique pour chacun. Adieu la gêne, adieu les miasmes.

 

♦  Fournissez à la meute un photomontage de vous et votre vis-à-vis se déclinant en plusieurs versions : costume, tailleur, tunique (pour l’émir), avec pixels interchangeables selon les visages. Toute la presse publiera le même cliché à la une mais ça ne changera pas de d’habitude. Vous pourrez alors accueillir n’importe qui à l’abri des regards.

 

♦  Idem avec les caméras de télévision. Pour leur donner le biscuit voulu, engagez des sosies qui se salueront l’un l’autre à qui mieux mieux. Occasion toute trouvée pour les sosies de dictateurs de sortir enfin de l’ombre.

 

♦  Si le protocole exige des effusions prolongées au sortir de la grosse berline, vous remarquerez que la meute vous lâche la grappe lorsque vous l’y raccompagnez, immortalisant ce qu’elle sait pertinemment ne pas changer le cours de l’Histoire.
Faites donc de la venue de l’invité un non-événement : pas de tapis rouge, pas de frichti somptuaire, pas de poignée de main, c’est plus honnête.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

« Décomplexée »

 

e car cette épithète à la khôn ne fleurit guère qu’à la boutonnière des députés de droite, s’est-on laissé dire. L’affaire devient complexe : et la gauche ? Et le centre ? Il faut croire qu’on y est perclus de complexes.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

« Droite décomplexée » : d’une tête journaleuse ou des couloirs de l’assemblée, on n’ira pas se prononcer sur la paternité de ce zélément de langage. Même si vu l’empressement des uns à reprendre les mots des autres à leur compte, on a bien une petite idée hein voui voui.

 

La formule est donc censée mettre à leur avantage les tenants d’une droite « dure ». Mais s’agit-il bien de ladite ?

Littéralement, « décomplexée » s’entend au sens de « désinhibée », « qui se lâche », « qui assume » l’idée que pour être il faut avoir et autres malformations congénitales.
(Au passage, les plus acharnés à se défendre de « tout dogmatisme » sont ceux-là mêmes qui baignent dans le dogme jusqu’au cou quitte à en devenir tout fripés.)
La jouer « décomplexé » équivaudrait donc à faire voler en éclats tous les « tabous » (comprenez les acquis sociaux).
Or, pas une feuille de papier à cigarette entre la ligne « décomplexée » et la « modérée », seulement une divergence de stratégie.

 

M’sieu-dames, ne nous voilons pas la face (même en cas d’acné purulent) : nous tous, à des degrés divers, souffrons de complexes – et les traînons bien souvent jusque dans la tombe. C’est très khôn, je vous l’accorde, puisqu’ils ne regardent que nous. M’enfin bref : il n’y a pas de honte à être complexé, ou alors c’est surajouter de la honte à de la honte et on n’est pas près d’aller mieux dites donc.

 

‘Tention toutefois à ne point tomber dans l’extrême inverse (et Dieu sait que de la droite « décomplexée » à l’extrême, il n’y a pas loin) : n’allez pas appeler « fierté » ce qui ne serait qu’absence de complexes ou complexes planqués sous le tapis. Mais baste, on en a déjà causé.

Merci de votre attention.

 

Manuel de suffixes

 

Vallsisme. Ça n’a pas loupé, on a osé faire le coup à certain ministre de l’Intérieur (comme à son prédécesseur en son temps). L’intéressé s’en est amusé en rétorquant pile ce qu’il fallait à la face du monde et des journaleux :

Tant que ce n’est pas les « vallseurs » ou les « vallseuses »…

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A la minute même où un homme politique vole un peu de lumière aux autres, il est de bon ton (à défaut de goût) d’adjoindre –isme à son blase. Au motif qu’il ferait école ? Peuchère.

Ç’a pu coller en parlant d’une doctrine, qu’elle soit philosophique ou politique (socratisme, gaullisme). Ou d’un régime, généralement peu recommandable (pétainisme). Aujourd’hui, ce suffixe réflexe est tout juste une manière d’acter une manière de mousser un trait de caractère de l’homme de pouvoir. Tout à la joie d’inventer un mot, les interviouveurs le lui balancent aussitôt. Pas uniquement pour guetter sa réaction. Comme vallsisme n’a aucun sens, on somme Valls de lui en trouver un. Seul refuge : la pirouette.

 

Sans compter que la fin des zidéologies voue le procédé à une ringardise certaine.
Trouvez-m’en une née dans le dernier demi-siècle et y ayant prospéré.
‘Tention, concentration…
Bredouilles, hein ? Les médias ayant horreur du vide, ils se rabattent donc sur des gars, dont ils légitiment l’omniprésence (qu’ils ont eux-mêmes façonnée) mais dont on serait bien en peine de résumer la pensée profonde.

 

Essayez avec votre patronyme, pour voir. Ou celui d’un collègue, le petit teigneux, tiens, celui qui tire toujours la couverture à lui ; vous m’en direz des nouvelles.

Et si les professionnels de la profession se mettaient de temps en temps avec nous de l’autre côté de la lucarne ?
La peste soit du suivisme journalistique.

Merci de votre attention.