Attation canicule

 

Traumatteisés sans doute à l’idée d’être tenus pour responsables du cagnard, les pouvoirs publics préfèrent prévenir que guérir. Des messages d’information, relayés partout avec nos sous, nous invitent ainsi à nous hydrater en partant du principe (de précaution) qu’on n’y aurait pas pensé tout seul.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le jeu consiste d’abord à placer certains départements en « vigilance orange » (on peut même aller jusqu’à « rouge » si on sait s’amuser). Puis à surpasser en nunucherie la plus poule des mères poules avec ce genre de conseils :

En cas de malaise ou de troubles du comportement, appelez un médecin (sans rire ?) ;
Prenez des nouvelles de votre entourage (moins valable le reste de l’année) ;
Pendant la journée, fermez volets, rideaux et fenêtres. Aérez la nuit (riverains d’aérodromes, tant pis pour vous) ;
Utilisez ventilateur et/ou climatisation si vous en disposez. Sinon essayez de vous rendre dans un endroit frais ou climatisé (grandes surfaces, cinémas…) deux à trois heures par jour (ça fera marcher le commerce, en sus).

Les ceusses qui ont planché là-dessus ont dû suer au moins autant que leurs cibles. Avant de repartir :

Buvez beaucoup d’eau plusieurs fois par jour (sauf ceux qui préfèrent flétrir sur place) ;
Continuez à manger normalement (faut pas se laisser abattre) ;
Ne sortez pas aux heures les plus chaudes (‘tendez, le meilleur arrive). Si vous devez sortir, portez un chapeau et des vêtements légers (l’anorak et les grosses chaussettes ne feront rire que vous).

Ne manque plus qu’

abritez-vous

pour que la lapalissade soit complète.

On a même ouï, au cours d’un bulletin météo :

Pensez à vérifier la climatisation de votre véhicule.

Aurait-on vraiment l’air neuneu à ce point ?

Faudrait voir à ne pas oublier – nos réactions physiologiques se chargent d’ailleurs à cette occase de nous le rappeler – la bête qui sommeille en nous. Qu’irait penser le reste de la faune si un spécimen de chaque espèce lui détaillait ce que son instinct lui commande déjà ? Il se bidonnerait sec, excusez.

 

En hiver, litanie du même tonneau : « boissons chaudes », « couvrez-vous », « équipez-vous de pneus neige »… Heureusement qu’on pense à nous comme ça.
Des larmes de reconnaissance, voilà ce que ça devrait nous tirer.

 

Quant aux équinoxes, ils auront bientôt droit à leurs slogans, que vous pouvez commencer à apprendre par cœur : « ôtez vos pneus neige », « râtissez le pollen », « râtissez les feuilles mortes ». Et surtout, « continuez à manger normalement » (faut pas se laisser abattre).

Merci de votre attention.

 

Dictée

 

La dictée de Pivot, certains s’en tirent très bien avec deux fautes : une à dictée, une à Pivot.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On écrit sa dictée sous la dictée de quelqu’un qui dicte, jusque-là, ça va sans dire. Que vous croyez. Parce que dire, il va en être sacrément question.

 

Avouez que vous aussi admirez à n’en plus finir les terminaisons vintage de l’ancien français. Celles qui racontent l’histoire du mot qui les porte ont un cachet particulier :

il ne fault nul offenser, en dict, ne en faict.

Râh oui, l’orthographe d’avant, ct quand même autre chose. Aujourd’hui, que sont tous ces fiers –ct devenus (le t rebouclant vers le c, sinon ça vaut pas) ? Aspect, respect, suspect, distinct, instinct sans oublier le petit chouchou succinct : nous les avons gardés uniquement pour la déco. Pour être tout à fait exact, certains même prononcent encore exact avec un –a.

 

Tout ça pour dire que dire a beau faire, il ne se débarrasse pas comme ça de son c.
Un dicton, c’est ce que dit la sagesse populaire :

il ne fault nul offenser, en dict, ne en faict.

La diction (théâtreux à vos postes) : la manière de dire.
Un dictionnaire, rien moins qu’un répertoire de mots.
Un dictateur, celui qui ne se satisfait pas du diktat précédent und so weiter.

 

Dicter, donc, apparaît au XVe siècle, dicté par le latin classique dictare, « dire souvent, prescrire », fréquentatif de dicere, « dire » dites donc. Et si dire se disait dicere, c’est à cause de deik-, l’indo-européen pour « montrer, indiquer ». D’où quelques lunes plus tard le latin digitus auquel on doit notre doigt – autre finale remarquable s’il en est, d’autant que y’en a pas vingt.

 

Quant aux dictées de nos chères têtes blondes, aussi lamentables soient-elles, souvenez-vous qu’

il ne fault nul offenser, en dict, ne en faict.

Une lampée d’étymo en revanche, rien de tel pour piger la langue.

Merci de votre attention.

 

Oublier la pièce jointe

 

Sauf adorateurs du Dieu postal et viocs irrécupérables, voilà un mal qui nous concerne tous sans distinction d’âge, d’opinion, d’origine ou de gonades : balancer un courriel en omettant de joindre le fichier qui en faisait l’objet. Summum de la rageure (qu’exceptionnellement vous pouvez prononcer « rageur »).

Mais revenons à nos moutons, moutons.

La chose est surtout contrariante pour le destinataire. S’il est dans un bon jour, il badinera à propos de la distraction de l’envoyeur par retour de mail. S’il piaffe en revanche depuis des lustres en attente de la pièce jointe, il envisagera l’option pneus crevés à court terme.
Oubliant que lui-même se fera un jour prendre au piège.
Car selon une étude de l’Observatoire des Messageries Electroniques et des Réseaux d’Echanges (O.M.E.R.D.E.), 100% des usagers pratiquent l’oubli de pièce jointe de manière régulière.

 

« Oubli » fâcheux certes, mais moins involontaire qu’il n’y paraît.

•  Il constitue déjà une preuve touchante d’empressement.

•  Il signifie aussi à l’autre qu’un tel fichier, ça se mérite, qu’il n’est pas à mettre entre toutes les mains et que si vous l’avez gardé par-devers vous, c’est moins par inadvertance que pour marquer le coup, alors un peu de respect.

•  Par ailleurs, on a beau jouer les blasés, ces petits miracles tressés de 0 et de 1 sont un ébahissement sans cesse renouvelé. C’est pourquoi nous cédons au désir inconscient – pour ne pas dire refoulé – d’en balancer deux pour le prix d’un. En y joignant la fameuse pièce pour finir, ainsi qu’une excuse plus ou moins sincère.

•  Penchant naturel encore plus enfoui : passer mutuellement pour des glandus aplanit considérablement les sentiments d’infériorité et de supériorité. Le tout rapporté à l’échelle de la planète ! Vous mesurez le bienfait pour l’humanité ? Sans limites est la puissance de l’instinct.

 

Aussi, ne voyez dans la prochaine pièce jointe oubliée qu’un signe de bienveillance et de paix entre les hommes.
Amen, merci de votre attention.

 

D’où viens-je, où vais-je

 

Sans cesse nous nous déplaçons. Si la nature nous a faits bipèdes, c’est sûrement pas pour rester le cul vissé sur une chaise comme le reprochait Lucette à Marcel avant d’admettre qu’elle aurait dû écouter sa mère. Il n’est pas jusqu’aux plus pantouflards sédentaires qui ne découvrent un jour ou l’autre un endroit inconnu de leurs services. Comment se fait-ce donc que l’orientation soit la grande oubliée de l’éducation des loupiots ? Pas l’orientation « professionnelle » : la seule, la vraie, l’art de se repérer. Ce devrait être un point cardinal des programmes, au même titre que lecture, écriture et calcul.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Parce que c’est bien beau de savoir lire « par là : 10 km » et « par là aussi : 10 km » mais si d’après la carte fallait sortir là et que déjà tu l’avais pas dans le bon sens et je te signale que d’après les indications du bonhomme c’était juste avant qu’il fallait tourner mais puisque je te dis que y’avait pas de 2e à gauche et… Laissons Lucette et Marcel à leurs pitoyables tâtons. Pourquoi l’école de la République, censée faire réfléchir par soi-même, ne nous lâche-t-elle pas plus souvent, mettons, en pleine forêt ? Ça permettrait de surcroît aux petits garçons de retrouver les filles en pleurs et de… hum. Enfin bref, cœurs gravés dans les chênes à la fin de la journée, souvenirs indélébiles pour les Lucette et Marcel en herbe, ainsi que la totalité du toutim. Sans compter les deux-trois glands semés au cours de l’exercice ; que du bénef !

Voyez pas le bond en avant pour la confiance en soi ? Les seaux de sueur économisés ? La sérénité retrouvée pour chaque maman-du petit-Elliot-attendu-à-l’accueil sachant que ledit gniard, autonome, connaît le magasin comme sa poche ?

 

Au lieu de pester à tort et à travers contre les zenseignants, ces héros au sourire si doux, soutenons-les. Déclarons grande cause nationale la lutte contre le paumage en rase campagne. Avec en guise de première opération coup de poing : « une intersection, un panneau clair ».
Vite vite avant que le gépéhès n’ait eu totalement raison de notre instinct.

Merci de votre attention.