« Réceptionner »

 

J’ai réceptionné un colis pour toi ;

Aïe, j’ai bien peur que la Chinoise ne se soit mal réceptionnée là !

Au motif qu’il s’invite partout, devrions-nous réceptionner le verbe avec les honneurs ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Faire semblant de ne pas avoir de mots à sa disposition est un sport national. Que chacun pratique à son (petit) niveau :

  • en remplaçant un mot jusque-là bonnard par un néologisme jugé plus avantageux ;
  • ou par un mot angliche ;
  • ou (si on tient vraiment la patate) par un mot angliche non équivalent.

L’on ne vous fera pas l’injure de renvoyer ici à de précédents billets. Pour l’efficience de l’exposé, checkez par vous-même afin de ne pas squeezer ce qui suit.

 

Au sein de cette compétition zacharnée, « réceptionner » se distingue depuis 1909. Depuis, le vilain parvient régulièrement à dérober le dossard de son concurrent recevoir, au nez et à la barbe des zacadémiciens semble-t-il.
Replongeons la tête la première dans l’exemple liminaire. Si

j’ai reçu un colis pour toi,

quelle est la valeur ajoutée de le « réceptionner », tête d’œuf ?

On a ajouté, façon strapontin, un infinitif à réception, elle-même formée sur recevoir. L’exploit n’est pas mince. Il est vrai que réception est un nom particulièrement évocateur, surtout celles de l’ambassadeur. Accuser réception, d’accord. M’enfin quoi, « réceptionner » ? C’est un peu comme réveillonner : en donnant réception, vous recevez vos hôtes, jusqu’à preuve du contraire.

 

La moutonnerie force de l’habitude vous fait d’ores et déjà jvoispasoùestleproblèmer ? Prenez au pif les frangins de recevoir se conjuguant comme lui. Au risque de vous déceptionner, ça ne marchera pas du tout, sauf dans un sketch.
Pouvez vérifier (conjugaison 28) : percevoir → perçu, perception.

Le jour où on viendra vous perceptionner, fuyez, pauvres fous.

Merci de votre attention.

 

« Fin de non-recevoir »

 

Vous en conviendrez, « fin de non-recevoir » est le nom savant pour bide, vent et assimilés. « Savant » façon savant fou : suffit de démonter le fourbi pour s’en convaincre. A la dévisseuse, sinon on n’a pas fini.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Car où se donne-t-on du « cher confrère », raide comme la justice malgré la robe ? Vous l’avez pigé, il n’y a qu’en droit qu’on cause comme ça. « Fin de non-recevoir » y côtoie allègrement d’autres formes figées par on ne sait quel prodige (« mandat d’amener », « ordonnance de soit-communiqué »…). Passons.

 

Dans le code de procédure civile donc,

constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande (…).

Tout s’éclaire. Mais contemplez le sort réservé à recevoir ! Précédé de la négation, le verbe se mue en substantif sans que personne ne moufte.
Mettez donc « non-recevoir » à côté de non-lieu. Trouvez pas qu’il y a lieu de s’inquiétude ?

Quitte à employer un nom, pourquoi pas

fin de non-recevabilité ?

Hideux mais correct.

 

Gardons le meilleur pour la fin. C’est vrai, à quoi rime-t-elle, celle-là, à la fin ?
Si le « non-recevoir » s’arrête, c’est pour prendre désormais en compte la demande jugée recevable. La tournure entière devient alors irrecevable.

Quoique ! Moins par moins égale plus. Dans ce cas, tout baigne : c’est bien par une « fin de non-recevoir » que l’on se fait recevoir, et en beauté.

 

Le fin mot de l’histoire ? Fin est ici un « but juridiquement poursuivi » (v. « à toutes fins utiles »). Mais on n’a pas rêvé, dans la définition citée plus haut, elle est le

moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande.

Moralité : au barreau comme ailleurs, la fin justifie les moyens.

Merci de votre attention.