Face caméra

 

Quand elle tient une exclusivité, la gent journaleuse use de l’expression « face caméra ». C’est nous ou il manque des mots ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il n’y aurait donc de confession valable que « face caméra », c’est-à-dire droit dans les yeux ? Avouez que « face à la caméra » (c’est-à-dire droit dans les yeux), la manœuvre perdrait considérablement de son intérêt. « Face caméra » souligne mieux l’aptitude du professionnel à capter une parole rare. A bien causer la France, déjà moins.

 

De fait, les prépositions nous emmerdent. Elles empêchent d’aller plus vite. Il n’est pas jusqu’aux sportifs qui ne se résolvent à « jouer les Anglais » ou toute autre équipe « difficile à jouer ».

Mais alors, si X accepte de tout déballer « face caméra », qu’est-ce qui empêche de le retrouver au maquillage « face miroir » ?

Journaleux, vous êtes face responsabilités.

face-camera2Face juges, quelles circonstances atténuantes pourriez-vous plaider ?

  • « Hors caméra ». Les propos ne sont pas toujours tenus « face caméra ». Le plus souvent, ils le sont « hors micro » ou « hors antenne ». Parfois même, la locution prend du galon jusqu’à passer substantif : hors-série, hors-jeu. « Hors caméra » étant correct, la tentation de l’inverser en « face caméra » est grande, votre honneur.
  • Le double sens de face. Pour des raisons pratiques, lorsque l’interviewé cause, c’est son visage qui apparaît en gros plan. « Face caméra », messieurs les jurés, a donc tout à fait pu subir l’influence de tournures où la face est en vedette comme « face contre terre ».
  • Et après, où est le mal ? « Jaune citron » ne résume-t-il pas « jaune comme un citron » à lui tout seul ? Et que dire de « façon puzzle » ?

La défense est coriace. Pour l’amour langue, luttons pied pied, même s’il y a du pain planche.

Merci de votre attention.

 

Glabre

 

Glabreté a bien du mal à pousser sur glabre. Pas de substantif non plus pour le port de la moustache ou de la barbe. On en déduit qu’en matière de poils, la norme n’existe pas.

Mais revenons à nos mentons, moutons.

Glabre est très pratique pour dire « dépourvu de poils ». Il existe par lui-même, contrairement à « impoilu », « apoilu » ou « dépoilu » qui tous passeraient pour des antonymes notoires. Imberbe a fait son trou, certes, mais son hérédité barbue ne trompe personne.

Deuxième avantage, glabre ne qualifie pas seulement le visage masculin mais aussi chaque partie du corps potentiellement velue : bras, jambes, torse… Seuls les dessous de pied, yeux, ongles et nombril sont glabres par nature. Les paumes restent sujettes à caution, les cas de poil dans la main n’étant pas exceptionnels.

glabre2

Malgré toutes ses qualités, glabre n’est officiellement admis entre givrer et glaçage qu’en 1835. Il piétinait pourtant dans l’usage depuis trois cents ans. Et sans doute davantage, vu sa proximité copaincommecochonnesque avec le latin glaber. Lequel, promu « jeune esclave », avait l’insigne honneur de se foutre à poil s’épiler pour le bon plaisir de ses maîtres.

Glaber faisant glabri au génitif comme liber fait libri et l’aber fait l’abri, on voit comment e et r ont échangé leur place. Ils ne sont pas les premiers, si ça se trouve. Ce l par exemple. Sûrement une inversion au sein de scalpere (« gratter, creuser »), sculpté sur l’indo-européen (s)kel, « couper » (→ culter, « couteau »). Par la barbe du Grand Manitou, ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Hypothèse renforcée par le cousinage de glaphô/glyphô en grec, « gratter, creuser » derechef (→ hiéroglyphe).

 

Mais l’indo-européen ghladh-, « lisse, luisant », tient la corde. C’est en anglais que sa progéniture est la plus impressionnante : glad (à l’origine, « irradiant de joie »), glass, gold… jusqu’à yellow dites donc !
D’ailleurs, jaune n’est pas seulement l’équivalent de ce dernier mais son jumeau, né du latin galbinus, petit frère de galbus (« vert pâle, jaunâtre »).

En regardant glabre comme ça, dans le blanc des yeux, on ne l’aurait pas cru.

Merci de votre attention.

 

Sur les pavés la plaie

 

Si vous lisez ces lignes à même le smartphone, rangez-moi ça deux secondes et écoutez celle-là : en Nipponie, on construit des trottoirs dédiés aux drogués de ces khôchonneries. Pour « communiquer » zen, sans doute.

Mais revenons à nos hitsujis, moutons.

Sans verser dans le vieux-khônnisme à tout crin, si l’individualisme était galopant, il a fini sa course. Pour venir s’échouer sur ledit trottoir.
Les études l’ont montré, la trajectoire du tapoteur intempestif recoupe celle de l’homme bourré. Souriez, souriez ! Les urgentistes, eux, ne rigolent plus du tout à force de devoir rafistoler les blaireaux tombés dans l’escalier faute de décoller le nez de leur joujou.

Depuis l’invention du walkman – une paille -, on ne s’étonne plus de rien. Si la technologie permet de flâner dans sa bulle, pourquoi ne pas en profiter pour signifier « j’emmerde mon prochain » dans l’espace public ?

 

Mais, outre le coût de l’infrastructure, hors même de toute considération sociologique, l’affaire est débilos à plusieurs titres :

– elle limite les zaccidents avec les piétons normaux, certes. Mais quid des blaireaux qui viennent en face ? Ils se font tout autant rentrer dans le lard. Prochaine étape : des routes spéciales blaireaux, à collisions mutuelles.

– emporter tous ses contacts avec soi en vue de leur tapoter de partout est une perspective alléchante. Mais en mettant un pied devant l’autre ? Impossible. Un texto écrit à l’arrêt, c’est déjà pas toujours beau à voir, alors en mouvement ! Z’aurez beau goudronner exprès, on ne défie pas impunément toutes les lois de l’univers.

– pis de surcroît, c’est en battant le pavé que le cerveau s’aère. Si à leur âge les Nippons n’ont pas compris ça hein, c’est que l’idée des trottoirs leur est venue en tapotant.

 

D’ailleurs, à l’heure où nous mettons sous Press, ils sont en pleine année du mouton.
En voilà une qui tombe à pic.

Merci de votre attention.