« Lâcher l’affaire »

 

Vingt-cinq piges au moins qu’on l’ouït en guise de « laisser tomber » : l’expression ne semble pas devoir lâcher l’affaire. Longtemps votre serviteur resta persuadé que le détestable ersatz avait pris ses quartiers dans son quartier. Et puis non, la nation tout entière s’en était entichée. Il fallut s’en accommoder. Et considérer comme un moindre mal son emploi circonscrit à la parlotte familière. Quand, pas plus tard que dernièrement, « lâcher l’affaire » vint noir sur blanc saloper un polar jusque-là loyalement « traduit de l’islandais ». Äfnütnjük * !

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Avec la déshérence du verlan, l’obsolescence de « laisse béton » avait pourtant remis en selle « laisser tomber ». Pourquoi ce recours soudain à « lâcher l’affaire » ? Car là où l’intransitivité de « laisse tomber » dissuade d’insister quelle que soit la situation, « lâcher l’affaire » se place, précisément, dans le monde des affaires. Avec, en chipotant à peine vers le littéral, un gain ou un bénef potentiels en embuscade. Voilà pourquoi cette locution file la nausée dans le feutré.
Suprême du ridicule et effets collatéraux :

Mais dis pas n’imp, vas-y, lâche l’affaire ! ;
J’voulais lui reprendre, au clebs, t’chois, mais y lâchait pas l’affaire sa mère !

Non content de montrer les dents en jouant au businessman, on accole donc à l’affaire un « lâcher » encore plus incongru. Certes, dans le cas du clebs, le verbe est tout indiqué car il s’agit d’un os ou d’une baballe ou d’un témoin de Jéhovah si la brave bête comprend vite. Mais soit on abandonne une affaire en cours, soit on l’interrompt, à défaut de la conclure. A proprement parler, on lâchera éventuellement quelqu’un sur une affaire quelconque. On pourra aussi lui lâcher la grappe, ou les baskets, ou le chien sur lui si c’est un témoin de Jéhovah ouh cha ch’est un bon chien cha ouh oui alors.

Cette époque carnassière a décidément les expressions qu’elle mérite.

Merci de votre attention.

 

* Saloperie