Montre à mails

 

On connaissait l’amour à mort, la mouche à merde, voici la montre à mails. Pompe un temps précieux et fait dzzzz tout pareil quand elle se manifeste.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

L’heure locale étant désespérément la même pour tous, le blaireau a désormais la possibilité de se distinguer en s’enchaînant se connectant au monde par le poignet. Le laissant juge, à chaque décharge électrique vibration (faudrait surtout pas louper un spam), de l’importance d’une notification qu’il ouvrira plus tard sur un autre appareil adapté.
Notez qu’il lambinera toujours autant pour répondre à ses messages. Mais au moins, le joujou, il l’a. Et il a suffisamment raqué pour.

 

Ainsi lui suffit-il de chuchoter au cadran pour allumer la lumière de son doux foyer au moment où il franchit le seuil. Alors qu’en économisant de la salive de blaireau, il aurait déjà appuyé sur l’interrupteur. On n’arrête pas le progrès.

 

C’est dire comme la montre à mails simplifie la vie, avec des tas d’applications tellement pratiques qu’elles se trouvent aussi dans le téléphone du blaireau, qui n’en utilise pas les trois quarts.

Pour pas qu’il se doute, la fonction téléphone est elle-même incluse. Comme ça, quand le blaireau sent qu’on l’appelle sur son bracelet, il va ni une ni deux chercher son téléphone pour causer dedans.

 

Oui bon, les fabricants conviennent eux-mêmes des limites de leur couteau suisse. La taille de l’écran notamment. On laisse à penser ce que donne là-dessus la lecture d’un itinéraire ou d’un billet de blog au hasard.

Vivement la technique qui fera doubler le poignet de volume. Pour le cerveau, ça risque d’être un peu plus long.

 

Plus les montres nous prennent du temps, moins elles donnent l’heure.

Merci de votre attention.

 

Jean-Louis Fournier

 

Il fustige l’absurdité de la vie, les guillemets et les humoristes pas drôles, Jean-Louis Fournier est un frère d’armes. Si vous n’aimez rien tant que les feulements ordinaires magnifiés par l’écriture, foncez lire Ça m’agace !, son petit dernier. Identification maximale pour les moutons contrariés comme vous et moi !

Si vous préférez l’ouïr en interview (prononcé viouve car Jean-Louis Fournier n’est « plus un perdreau du jour » selon son expression), on peut dire que vous tombez bien : Rebecca Manzoni lui a récemment brossé le portrait. C’était dans Eclectik, émission de service et d’utilité publics par la seule présence du grain manzonien (épaisseur et espièglerie, LA femme faite voix, si j’ai une fille elle s’appellera Rebecca, sa maman aussi mais m’en fous). L’auteur y parle surtout de Mon dernier cheveu noir, sous-titré avec quelques conseils aux anciens jeunes, qu’il défend himself sur les planches. Impossible de citer un chapitre in extenso, ça vous priverait du plaisir de la découverte pis M’sieu Copyright ferait ses gros yeux. Impossible aussi d’amputer la moindre virgule. En guise de pis-aller, l’incipit, juste pour donner le ton :

De Radiguet, écrivain mort à vingt ans, Cocteau a dit :
« La première fois que je l’ai vu, j’ai compris qu’il nous était prêté et qu’il allait falloir le rendre. »

De moi, on pourra dire :
« La première fois qu’on l’a vu, on a tout de suite compris qu’on ne pourrait pas le rendre et qu’il allait falloir se le garder un bon moment. »

 

Jean-Louis Fournier écrit dans un style simple et sec (il « déteste parce que », je cite toujours) des trucs d’une intelligence sans bornes, d’un cynisme parfois impitoyable mêlé de poésie. Il atteint d’autant mieux son but que le format est court.
La minute nécessaire de M. Cyclopède, vous vous souvenez ? Le gars qui filmait Desproges s’appelait Jean-Louis Fournier et non, c’étions pas un homonyme.
(Même l’horloge, c’était la sienne).

Ça vous pose un bonhomme, non ?