Savoir s’avoir

 

Tandis qu’être se voit accorder tout ce qu’il veut en genre et en nombre, avoir n’a qu’un COD qui le précède pour seule pitance. S’il n’y avait que ça ! Avec sa conjugaison pronominale inusitée, avoir se fait avoir sur toute la ligne.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Jamais de pronom réfléchi avec avoir. Zieutez bien, « nous nous avons » et autres monstres brillent par leur absence dans toute la littérature. Il est vrai qu’il faut se lever tôt pour caser « je m’ai » dans la conversation. Idem pour sa suite logique « je m’ai gouré ». Seul

heureusement que je l’ai

a droit de cité. Heureusement qu’on l’a, çiloui-là.

 

Le malaise culmine au moment de « s’avoir au téléphone ».

La dernière fois qu’ils se sont eus au téléphone,

ont-ils parlé de

la prochaine fois qu’ils s’auraient ?

Ça se saurait. Nos oreilles refusent de l’entendre. Parce qu’on n’a pas l’habitude ou à cause de l’homophonie avec savoir ?

 

Même employé comme auxiliaire, avoir se fait jarreter sans ménagement :

je l’ai eu au bout du fil

mais

nous nous sommes eus.

De même,

il a descendu une bouteille à lui tout seul

devient

la bouteille qu’il s’est descendue.

S’il a une bonne descente, que ne se l’at-il sifflée ?

 

Bienheureuses les autres langues exprimant la réciprocité à coups d’each other. Mais à supposer qu’on précise « l’un l’autre » ou « mutuellement », ça ne résout que pouic à notre affaire :

heureusement qu’on s’a l’un l’autre.

Vous parlez d’un duo de choc.

Merci de votre attention.

 

Comment neutraliser celui qui beugle à 2h37 ?

 

Il y a des fous sympathiques. Pas lui.

Personne ne beugle à 2h37 du matin sous les fenêtres, même à lui, ça n’a pas dû échapper. Contre toute loi physiologique (sans parler de bienséance), il s’en est pourtant fait une spécialité. Histoire de sortir du lot, sans doute.

Ses borborygmes retentissent donc dans la nuit à intervalles réguliers. Et de rue en rue, ce qui, vu le temps d’enfilage d’une robe de chambre et de vos savates, rend très difficile l’admonestation de vive voix.

 

Au-delà du fait que la case qui lui manque est pleine à ras bord de piquette, l’homme est très malheureux. Mais aussi – et surtout – très khôn. Il conviendra d’abréger ses souffrances sans angélisme ni apitoiements excessifs.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en ouvreur d’œil civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  L’individu, semble-t-il, ne dort jamais. N’allez pas lui faire remarquer que vous ne demandez que ça : il n’en voit pas l’utilité. Disposez plutôt des pièges à khôns dans tout le quartier, c’est pas ça qui manque.

 

♦  Criez plus fort que lui. Attention, même avec de l’entraînement, vous n’y arriverez pas seul(e). Installez sur toute l’habitation un système de haut-parleurs qui diffuseront vos « taaa gueuuuuuuule » jusqu’à la banlieue de Jupiter.

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♦  Travailler de nuit juste pour éviter son manège ? Le bougre a tout prévu et vous suivra à la trace, car les boulets ne meurent jamais. Décalez plutôt vos horaires pour ne vous coucher qu’à 2h38, une fois le dernier beuglement éteint.

 

♦  L’écriteau « attention, chien méchant » n’aura qu’une portée limitée. La terreur nocturne ne se gratte déjà pas pour vous, il n’aura aucun scrupule à réveiller un clébard, montrerait-il les dents. Agitez plutôt la menace d’autres prédateurs : « attention, gorille mangeur d’hommes » ou « attention, poulet en faction ».

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Comment consommer Tourtel avec modération mais jusqu’au bout de la nuit ?

 

Tourtel, vous vous souvenez ? Les publicitaires nous juraient, par la voix de Tom Novembre, qu’on pouvait « en boire jusqu’au bout de la nuit ». Jusqu’à ce que patatras, il faille du jour au lendemain « consommer avec modération ».
Les pubeux l’avaient dans l’os ; pour une fois qu’ils tenaient un bon slogan.

Ils auraient pu néanmoins rattraper le coup. Promouvant une bière « sans alcool », il leur suffisait de souligner que la modération en tant que corollaire du danger de « l’abus d’alcool » faisait pschitt.
C’eût été jouer aux khôns, la mention « sans alcool » relevant, au mieux, d’une coupable approximation : chez Tourtel comme ailleurs, la blonde titre à 1° (de même que la brune tire par tous les temps, comme l’assurait Lio jadis).

lio

Nœud gordien, dilemme et aporie : vous voilà Gros-Jean comme devant, avec votre pack.

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en pochtron civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Trouvez ce Modération dont on parle tant et invitez-le à se mettre minable en votre compagnie. Blague éculée mais qui fera toujours son petit effet, surtout après trois bières.

 

♦  A quelque chose, malheur est bon. Si vous êtes insomniaque, ne gardez qu’une canette au frais, que vous prendrez soin de siroter gorgée par gorgée chaque fois que vous vous relèverez.

 

♦  A la distillerie la plus proche, exigez qu’on extirpe de votre bibine ce degré d’alcool qui vous fout dedans cause tant de misères. Il n’est pas certain que le goût du breuvage ainsi obtenu n’en pâtisse pas mais au moins, vous aurez votre conscience pour vous.

 

♦  La réclame ne stipule aucun horaire de début de beuverie. Profitez de ce vide juridique pour commencer à décapsuler juste avant l’aube, l’imminence du « bout de la nuit » vous garantissant une quasi-sobriété qui restera dans les clous. Déconseillé toutefois en cas de nuit polaire, par définition plus longuette que sous nos latitudes.

 

♦  « On peut en boire… » ; mais qui est ce on ? « Un khôn », comme dit l’adage. Là encore, engouffrez-vous dans la brèche. Puisqu’il n’est pas précisé à combien il est permis de se refiler le goulot, conviez une assemblée où chacun, à tour de rôle, aura droit à sa lampée avant d’aller s’endormir sagement. Veillez cependant à disposer d’une brosse à dents par personne, l’haleine chargée au houblon n’ayant, de bon matin, plus grand-chose à voir avec le concept de convivialité qui prévalait la veille au soir.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.