Ardu

 

Aucune question n’est trop ardue pour vous. Si elle l’est, c’est qu’on ne vous a pas assez bien expliqué. Ou que vous êtes trop khôn, probablement.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Il n’y a pas de quoi être fier, nous avons tous oublié le sens originel d’ardu :

escarpé, difficile d’accès.

Sorti des chemins de grande randonnée, l’adjectif devient plus généralement synonyme de

difficile, pénible.

Sens et sonorité fort proches de hard. Et pour cause.

De l’autre côté des falaises de Douvres, ardues entre toutes, hard partage avec ardu l’ascendance celtique (h)ardu-, « haut, élevé ». En remontant encore plus loin, on peut admirer l’indo-européen kortu-, construit sur le radical kar-/ker- de même sens.

 

Au fait, les raisins de Corinthe ne poussent-ils pas sur le très vieux grec kar-, « pointe, pic » ?

Restons-y, tiens, dans le berceau de la démocratie : suffixe -kratia, « pouvoir » (qu’on retrouve dans toute la cohorte de -craties connues), féminin de kratos, copié-collé de l’indo-européen kre-tes-. « force ».

Et Richard ? Ricohard sur l’acte de naissance en vieux teuton, soit rik-harthu, « dirigeant fort ». Evitons d’ajouter « Cœur de Lion », ça friserait le pléonasme.

Quant aux Ardennes, elles culminent depuis le gaulois arduo- et il suffit de contempler Dinard pour s’apercevoir qu’il s’agit d’une « forteresse élevée », ni plus ni moins. Ardu, ça ? Vous le faites exprès.

Hard étant percé à jour, le cousinage d’ardu et de hardi ne vous semble pas incongru. Et pour cause derechef : en vieux teuton toujours, hartjan signifie « endurcir » et harti « fort ». On connaît des Hardy de langue anglaise particulièrement « vigoureux ».

 

Moralité : comme nous l’enseignent les petites vieilles au supermarché, ce qui est haut est dur à atteindre.

Merci de votre attention.

 

« Aujord’hui »

 

Il y avait longtemps qu’on n’avait joué les orthophonistes. Aujourd’hui : « aujord’hui ».

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Pourquoi 220 millions de bouches francophones ne peuvent-elles réprimer ce o à la place du ou ?
Contrairement à d’autres mystères phonétiques, les raisons sont cette fois enfouies plus profond qu’il n’y paraît.

Si, en effet, nous tordons ainsi aujourd’hui à nos quatre volontés, c’est que, hop hop hop, nous négligeons l’instant présent pour nous projeter à demain (ou, tel Paulo, soupirer sur hier). Alors que l’oiseau s’échappe à minuit, après les douze coups, paradoxalement, on est toujours aujourd’hui. Z’aviez pas révisé votre philo mais demain n’existe qu’en pensée, n’en déplaise aux gus de chez Philips.

Résultat : « aujord’hui » file, on l’esquive, on préfère ne pas y penser.
D’où désinvolture.

 

C’est aussi, peut-être, pour éviter d’en sentir la composition tarabiscotée. Jugez plutôt : depuis l’ancien français, hui signifie justement « le jour où l’on est », eh hui. Si bien qu’« au jour d’hui » = fromage et dessert (la redondance suprême « au jour d’aujourd’hui » étant passible de 3 ans d’emprisonnement, assortis de 150 000 € d’amende en cas de prononciation « aujord’hui »).
A l’oral comme à l’écrit, la locution a donc fini d’un seul tenant, formant un cocon sonore au même titre que les pétété, laureléardi ou le tournoidesVInations.

Eh ben moi je dis qu’inconsciemment, « aujord’hui » atténue le pléonasme en glissant sur ce jour en trop.

 

C’est pas d’aujourd’hui, nous sommes tous des aujord’huistes.
Aussi, ne nous jetons pas la pierre.

Merci de votre attention.