On bouge

 

Un signe du chef et « on bouge ». L’expression n’a pas toujours existé. Avec un peu de chance, elle finira par bouger comme elle était venue.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

« On y va », « on s’en va », « on décolle », « on dégage », « on met les bouts », « on se tire », « on s’arrache », autant de formules de congé sur l’air de « qui m’aime me suive ». L’impatience du départ s’y exprime avec une intensité qu’on ne retrouve guère que dans « tchanner la latte ».

Rien de tout cela dans bouger.

« On bouge » sans préciser  ; l’essentiel est de bouger. Quid alors de partir ? Parti sans laisser d’adresse. Or, si l’on ne peut s’en aller qu’en quittant la pièce, on peut très bien bouger sur place.

Bouger est partisan du moindre effort. Pourquoi pas se déplacer ou se mouvoir, pendant qu’on y est ? « On s’meut », ça aurait de la gueule.

D’une manière ou d’une autre, on est tout le temps en mouvement. Au « on ne bouge plus » du photographe, impossible de respecter l’ordre à la lettre. Et que dire de l’IRM qui cartographie vos méninges ? La moindre photo floue vous vaut les foudres des blouses blanches. Même en ronquant comme un loir, le simple fait de respirer équivaut à bouger. Le jour où vous ne bougez plus du tout, c’est que vous êtes mort.

bouger2D’ailleurs, n’allez point vous enquérir :

tu pars en vacances ?

mais :

tu bouges un peu pendant les vacances ?

L’interlocuteur pigera à demi-mot ; la destination importe moins que le fait de bouger.

 

Ce curieux usage semble dater de Bouge de là, rappé par MC Solaar à tue-tetê. Jusque-là, on disait plutôt :

ôte-toi d’là que j’m’y mette,

ce qui groove sensiblement dans les mêmes proportions.

Depuis, on nous recommande de manger/bouger. L’un n’allant pas sans l’autre, d’ici quelques lunes, on pourra sortir de table en lançant « on mangebouge ».

Merci de votre attention.

 

Immeuble

 

De ce côté-ci de l’Atlantique, les buildings d’en face sont source d’infinies railleries. Mais ceux qui vivent dans ces constructions (littéralement) pourraient à bon droit se gausser de notre accent fécal. Building prononcé comme bulldozer ? Allons donc. Et build alors ? Et d’abord, nous sommes-nous seulement regardés, avec nos immeubles ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Bien que ceux-ci ne s’étirent guère que sur deux étages (plus rez-de-chaussée), les seuls complexes à avoir ce jour seront d’ordre étymologique. Il suffit d’inspecter les fondations d’immeuble pour piger que ça urge.

 

Avant de rouler des mécaniques en tant que

bâtiment urbain à nombre plus ou moins important de niveaux destiné à abriter des appartements, des installations professionnelles ou des bureaux,

est immeuble

ce qui ne se meut pas.

A ce compte-là, une statue, une maison, Michel Drucker est un immeuble.
Pas le terrier, creusé par définition dans de la terre meuble.
Quant au déplacement de meubles cher aux voisins du dessus, il termine de rappeler l’étroit cousinage de meuble avec mobile.

C’est d’ailleurs immoble qui sort de terre vers 1200. Evidemment, il ne tient pas en place et devient immeuble en 1319, escamotant pour le coup mobilis, contraction latine de movibilis, tiré du verbe movere auquel on doit mouvement, amovible, émouvoir et, de l’autre côté de l’Atlantique, move et remove.

Dans le feu de l’action, movere s’est mué en movitare, lequel a muté en mutare. Movere a aussi mis bas le fréquentatif motare, qui n’en finit pas d’exploser.

 

Comme les prix de l’immobilier du reste.

Merci de votre attention.