« Il fautvivre avec son temps ». Sous-entendu : « sous peine d’être largué ». Un adage que seuls suivront les moutons de première, parce qu’en réalité, nous nous débattons tels de la crème pâtissière dans des mille-feuilles temporels.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Tout à notre guidon, c’est une chose qu’on relève peu : les trentenaires actuels sont la dernière génération de toute l’humanité à avoir grandi sans le ouèbe. La dernière aussi à pouvoir confronter sa vision du monde (analogique) au nouveau. Schizophrénie comparable à celle qui dut agiter les contemporains du premier téléphone ou les pionniers du moteur qui fait boum.
Or, à courir plusieurs lièvres à la fois, ne risque-t-on pas de devenir chèvre ? Adeptes de la métaphore animalière, filez.
D’autant que nous le sommes de moins en moins, animaux. L’homme des cavernes avait du poil aux pattes, nous multiplions les épaisseurs de fringues. Les médias nous rencardent sur tout, l’ancêtre partait en éclaireur. Parfois même il virait nomade, sans disposer du moindre début de locomotion actuelle.
Si bien que l’homme des trottoirs ne sent plus rien (et pallie par des expressions bizarres). A part le camion qui le percute de plein fouet ou la vague géante qui l’emporte alors qu’il zieutait un écran quelconque. ‘Tention, un encornage de mammouth pendant les ébats avec madame des cavernes est une mort tout aussi khôn. Mais qui au moins a le mérite d’interrompre un moment de grâce.
C’est bien beau de « vivre avec son temps ». Faudrait-il pas au contraire vivre en dehors, ou plutôt privilégier l’intemporel (amour, art, passions humaines) sur les contingences ?
De dieu, ça balaie large aujourd’hui.
Si les génies se font rares, au passage, c’est qu’ils sont privés du temps dont ils auraient besoin pour être en avance sur le leur.
Tout va si vite ! Même Léonard plierait boutique.
Il ferait un malheur en peintre rupestre.
On ne choisit pas son nom. S’appeler Robert Redford, Moïse ou Mata-Hari n’est pas donné à tout le monde et tient à peu de chose, une vétille, un concours de circonstances, un battement d’ailes de papillon. A croire que nous ne sommes que les jouets du destin. Voyons à quelles cruelles fantaisies se livrent parfois les dieux de l’état civil.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, Eugène Poubelle est bien sûr préservé des quolibets posthumes, au moins autant par son action de salubrité publique que par sa qualité de mâle. Car qui mesure aujourd’hui la disgrâce ayant frappé sa chère et tendre ? Imaginez les réceptions où l’on annonçait « le préfet Poubelle et Madame ».
Morceaux choisis parmi la populace :
Tiens, il a sorti la Poubelle ;
Cette Poubelle, qu’est-ce qu’elle cocotte.
Pauvre femme. Espérons au moins que son martyr ne perdurait pas dans l’intimité avec de désobligeants
Tous aux abris, le patron de Rock & Folk s’essaye au créneau avec sa décapotab’. Philippe Manœuvre, d’accord, mais observez-le : c’est délicat quand on n’a pas de cou, la tête directement posée sur les épaules. Heureusement que les titines de maintenant se garent toutes seules. Merci la technologie de pointe !
(Un programme baptisé « Moonwolke » est d’ailleurs à l’étude, qui vise à retirer sans ablation des cordes vocales l’accent des français parlant anglais. C’est beau la science).
Et Léonard ? Il se trouve que Vinci était le nom de son bled. Mais un détail comme çiloui-là, non maîtrisé, peut facilement vous plomber une carrière ! Le génie lui-même trouvait que l’appellation complète faisait un peu « les auditeurs ont la parole » et, en se mettant dans ses sandales, on peut difficilement lui donner tort. Au fait, aurait-il peint la Joconde si, au lieu de convoler avec son riche marchand d’étoffes, celle-ci avait tapiné dans les bouges de Florence ? « La Puttana » sous verre blindé au Louvre, voilà ce à quoi nous avons échappé, les enfants.
Restons dans l’Italie de la Renaissance : songez aux conséquences pour l’humanité, si maman Vespucci avait appelé son fiston Kevin ou Jean-Mi plutôt qu’Amerigo.
Au passage, avoir un continent à son nom, ça vous a quand même une autre gueule que de le découvrir en croyant jusqu’au bout que c’est pas çui-là. Comme quoi Christophe Colomb a jamais eu de bol. Vespucci ayant tout raflé, quel os lui a-t-on laissé, au chien ? L’ère « pré-colombienne ». Dites-moi que vous aussi, jusqu’à un âge sérieusement avancé, ne pigiez guère le rapport entre les Aztèques ou les Mayas et la Colombie, qui vivait sous son nom de jeune fille bien avant l’arrivée des caravelles ? Et encore, le Christophe peut s’estimer heureux d’une telle postérité. C’était ça ou la colombienne. Snif.
Antipodes toujours, une simple inflexion dans la bouche des autochtones de Bikini et les filles du sexe féminin n’auraient plus de scrupules à aller monokunu.
D’ailleurs, s’il avait plu à notre éminent Jacques Monod d’inventer la stéréo – car c’était dans ses cordes – que n’aurait-on entendu !
Et dans notre série « ils l’ont bien cherché », avec la page Berlusconi qui se tourne, on peut déclarer Gianfranco Fini une bonne fois pour toutes. Pas fâchés.
On ne s’attardera guère sur ces illustres Martin ou Durand que sont Romain Bouteille, Vanessa Paradis, M, Paul Personne, Tom Novembre et Charlélie Couture, qui n’ont jamais besoin d’épeler lorsqu’ils réservent une table au restaurant.
Ils ne connaissent pas leur bonheur, comparés à l’ex-voix du rugby Pierre Albaladejo. Qui du coup préfère pique-niquer, quitte à opposer l’origine occitane de son patronyme aux railleurs, toujours prêts à lui tendre de l’alu couvert de Jo gravés au couteau de poche…
Pour finir (car l’heure tourne), ne dites pas :
Carla Bruni
mais
Carla bronze
ou
Carla bronsse
si vous imitez le mari (qui, lui, ne peut bronsser qu’à l’ombre).
A la rigueur, on admettra
Karl a bruni
puisque l’intéressé ne fait jamais rien comme tout le monde et que « bronzer ? du n’y penzes pas, mais z’est d’la merde, za, ma jérie ».
Si l’occasion se présente de voir Michel Galabru vociférer sur les planches :
Noooooooon ! Noooooooon ! Mais nooooooooon hein !,
on peut même aller jusqu’à affirmer : « Galabru nie ». A ses risques et périls.