« En retard », « à la bourrette », « hors délai », le manque de ponctualité est déclinable à l’envi. Arriver tôt en revanche assèchera littéralement vos hôtes qui, ne vous attendant pas si tôt, dissimuleront mal une pointe d’embarras :
Déjà là ?
[pointe d’embarras mal dissimulée].
Ça va tellement loin qu’il n’y a pas de mot pour « tôt ». Aucun pendant de tardif, encore moins de « retôt » ou de « tôtivité ». C’est bien simple, si tôt et tard étaient dans un bateau, il y aurait un bâtard*.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
La pente retardataire est beaucoup plus naturelle que l’autre, jusque dans la langue.
Et pas que la nôtre : chez nos voisins, même vide juridique. Pas d’earliness ni de Frühigkeit à l’horizon, rien que de l’adverbe pur et dur.
Peut-être faut-il aussi s’entendre sur le mot tôt (et non pas sur la moto, où c’est peine perdue).
La locution « de bonne heure » rime grassement avec bonheur, certes. Mais elle est à tôt ce que « de bon matin » est à la journée qui commence. D’ailleurs, vu la tronche que tirent vos hôtes, est-ce bien la « bonne heure » ? A contrario, « de bonne nuit » ne concerne pas grand monde, pas même les lève-tôt.
Tôt serait-il donc synonyme d’« en avance » ? Aaah permettez, dit le distinguo qui était resté planqué depuis tout ce temps. « Avance » suppose « plus tôt que prévu ». Tandis que tôt implique sinon d’être à l’heure, du moins de se pointer au début de la fourchette fixée.
En soulevant le chapeau de tôt, on pourra noter qu’à l’instar de nombreux homologues portant circonflexe, il s’est d’abord dit tost. Ça mériterait un toast, en soi.
Ne vous bidonnez pas trop tôt : c’est le même mot. Tostus : « grillé, rôti, brûlé », participe latin de torrere, tous les torréfacteurs vous le diront. Il a mué pour finir en tostum qu’on peut, sans exagérer, traduire par « chaud devant ».
Grille-pain et cafetière, par nature, fonctionnent aux aurores. Il importe donc de surveiller vos tartines malgré l’heure tostine.
Merci de votre attention.
* et ce ne serait pas tard.