Crépuscule

 

Au crépuscule de leur vie, les grands littérateurs ont la vue qui baisse. Aucun d’entre eux n’arrive à situer le crépuscule avec certitude : « lumière faible et incertaine qui subsiste après le coucher du soleil » ou « lueur qui précède le lever du soleil » ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

N’allez pas en conclure que chaque journée comporterait deux crépuscules. Si le premier fait office d’extinction des feux, l’autre appartient encore à la nuit, c’est écrit en toutes lettres.

Quel que soit son quart d’heure de gloire, il ne dure jamais, en tout cas. Quand on le met en présence de groupuscule, ce « petit groupe » plus ou moins nuisible, il apparaît que crépuscule équivaut à crép- en miniature. Autrement dit, un pancake.
Les faits démentant formellement cette hypothèse, n’allons pas nous coucher avant d’en savoir plus.

 

Rien à tirer des premières constatations : notre « pénombre qui suit le coucher du soleil » de 1596 est un emprunt au latin crepusculum de même sens.

En plissant les yeux, on parvient tout de même à distinguer le vieux vocable rital creper (« obscur »), qui ferait du crépuscule une « petite obscurité » tout à fait convaincante, creper étant voisin de l’ancien grec knéphas, « obscurité, ténèbres ».

Mais zalors, n’existe-t-il pas des mots de la même famille, même obscurs ? On a beau chercher, on ne tombe guère que sur gnophos, papillon aux sombres ailes.

Heureusement, à l’instar de nos nuit, night, Nacht, notte et assimilés, tout porte à croire que knéphas a poussé sur la racine verbale indo-européenne neg-, « faire nuit ».

 

Pour bigleux qu’ils soient, les grands littérateurs ont l’imagination fertile. Loin de se contenter de crépusculaire, ils ont ainsi pu accoucher de crépusculairement, crépusculâtre (qui a les caractères du crépuscule) et crépusculeux (relatif au crépuscule). En laissant bizarrement de côté crépusculard, crépusculine, crépuscule-friendly et crépusculage d’appartement. Oubli réparé.

Merci de votre attention.

 

Louper

 

Louper : verbe familier depuis la plus tendre enfance. Davantage que ses synonymes manquer et rater, certes. Mais toutefois moins que foirer, merder ou le lorrainisant zabler, lequel donne lieu à de cocasses allitérations :

J’ai zablé la pâte sablée.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Louper dédramatise. Au constat d’échec qu’il dresse, on est souvent tenté d’ajouter « c’est pas grave ».

Sa silhouette élégante est due tout khônnement au loup, mes loulous. Il faut dire que la pauvre bête n’a pas bonne presse. On l’accable de tous les maux, lui colle du péjoratif à tout-va. Que ce soit en médecine (« lésion cutanée ulcéreuse »), au sein de considérations météorologiques (« un froid de loup »), au théâtre (« lacune, trou »), chez les bricoleurs (« pince pour arracher les clous »), dans le textile (« appareil à grosses dents métalliques servant à battre et briser la laine »), en technique (« malfaçon, défaut ») et plus particulièrement dans la sidérurgie ah Lorraine quand tu nous tiens (un « loup de fonte » : masse minérale mal fondue qui risque de provoquer une obstruction et la gueulante du chef).
Tant et si bien qu’au XIXe, les typographes entendaient par « louper une pièce » « mal exécuter un travail ». Depuis 1915, le verbe signifie plus généralement « manquer à la suite d’un retard ». Et quoi de pire que de louper son bus, je vous le demande ? Louper le suivant.

Les acceptions de loup au sens de « malfaçon » se sont vues supplantées par le substantif loupé (par analogie avec raté sans doute) :

Sa carrière a connu des loupés.

Ce loup au figuré, les bons dicos se tuent à le dire, relève probablement « de la notion de manque, de tort qui découle de celle d’agression, de rapacité » qu’on attribue à l’animal à travers les âges et les continents.

 

Suivons les traces du lupus à la loupe : on a tôt fait de tomber sur l’indo-européen commun wlp-/lup- qui a accouché à la fois de notre loup et du wolf des Anglais/Teutons (via le proto-germanique wulfaz).
Une internationale lupiforme qui a le mérite de nous rappeler qu’à, à, à la queue-leuleu, tout le monde s’éclate.

Merci de votre attention.