Ad libitum

 

Faute de pouvoir traduire ad libitum par un synonyme 100% sûr, le français moyen en est réduit à chercher des équivalents : à l’envi, jusqu’à plus soif, jusqu’à épuisement des stocks, et plus si affinités.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Parmi tout ce qui précède, bien malin qui pourrait dire ce qui sur le plan littéral s’approche le plus de la locution latine. Raison pour laquelle nous l’avons conservée intacte, à tous les coups. Tout en lui donnant du « ad lib. », marque d’affection que nous ne réservons guère qu’à etc., excusez du peu.

 

On n’a pas toute la journée.

Ad : « à » avant la lettre. Préposition dont la particularité est de s’adjoindre tout ce qui passe.

Libitum fait de son côté furieusement penser à libido. Engagés sur cette pente du stupre, ne serions-nous pas en train de nous éloigner du sujet ?

Détrompez-vous. Libitus et « plaisir » sont cul et chemise, si si.

En Latinie, le mot voit le jour comme participe passé substantivé de libere, « plaire ». Car si « ich liebe dich », c’est d’abord parce que « tu me plais ». Et avant de nous lancer des noms d’oiseaux, souvenons-nous qu’un quolibet est à l’origine une question improvisée, débattue librement, selon quod libet : « ce qui plaît ».

Quant aux lubies qui se déclarent sans crier gare, elles bourgeonnent sur le verbe lubere, variante – on vous le donne en mille – de libere.

 

Pas étonnant que les partitions des musiciens regorgent d’ad libitum. Occasion rêvée pour l’interprète de jouer enfin selon son humeur, « à plaisir » ; moyen détourné pour le compositeur de ne pas trop se casser la nénette.

Merci de votre attention.

Crénom de prénom

 

Ceux qui, croyant se distinguer des autres parents, affublent leur gamin d’un prénom aussi tarte que la moyenne (sinon plus), culminent au faîte de la moutonnerie.
Sinon plus.

Mais revenons à nos moutons, plus que moutons.

Avant tout, rappelons cette vérité première : le gniard n’a rien fait pour mériter son sort, si ce n’est suivre le mouvement (c’est de famille). Tout à l’innocence du nouveau-né ouvrant sur le monde des yeux écarquillés, sait-il quel châtiment l’attend dès l’instant où son géniteur ira le reconnaître ? Non, car il est plein encore de l’innocence du nouveau-né ouvrant sur le monde des yeux écarquillés.
Et c’est dommage car s’il pouvait parler là, tout de suite, au lieu de brailler pour des besoins immédiats, il ferait remarquer que le choix de maman Ethan et papa Ethan sera daté dès la prochaine vague de « prénoms-à-la-mode », c’est-à-dire dans une lune à peine.

Passe encore que ces deux-là confondent improbable et original : sous le joug des influences du moment (et attendris sans doute par l’innocence du nouveau-né ouvrant sur le monde des yeux écarquillés), ils oublient surtout qu’une tendance chasse l’autre et qu’Ethan va devoir trimbaler toute sa vie cet état civil de pacotille.

 

Vous aimez votre descendance ? Evitez de la desservir d’entrée. Sachez par exemple, au risque d’en froisser un certain nombre, qu’il n’y a pas un Lucas pour rattraper l’autre. Et qu’on frôle l’overdose de l (au hasard, Lucas, Lucas, Léa, Lucas, Léo, Leelou, Lucas, Lola, Lucas, Louane…) et de o en fin de blase pour les mectons (Léo, Mathéo, Enzo, Hugo, Théo, Timéo… non mais oh !).

Il semble en tout état de cause que nous ayons atteint un point de non-retour dans l’éloignement du guttural – quoique les cigognes aboulent parfois l’un ou l’autre Childéric ; déclaration de guerre supplémentaire aux générations futures.

 

En réaction, les valeurs sûres – à savoir les prénoms 1900 – reviennent d’ailleurs en force : on ne compte plus les Jean, Jules et Constantin en bavoir, fiers comme une armoire normande ; et chez les filles du sexe féminin, c’est Louise qui rafle la mise pas plus tard que l’an dernier.

Mais au rythme où on s’assoit sur l’orthographe, combien de Louiz écarquilleront tôt ou tard les mondes innocents sur l’œil ouvert du nouveau-né ?

Merci de votre attention.