Lune

 

Les lunettes ont été conçues pour observer la lune. Surtout pas le soleil, qui ne se regarde pas en face – même avec des solaires.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

C’est vrai ça, qu’est-ce qu’une lunette sinon une petite lune ? Du moins lorsque celle-ci est pleine ; des binocles en forme de croissants de lune, on n’y verrait que dalle.
En parlant de ça, rappelons qu’on a tous des lunules à la base des ongles. Et que lundi, premier jour de la semaine excusez du peu, lui est dédié.

Sa rotondité en évoque d’autres : on n’hésite pas à « montrer sa lune » si on est « mal luné ». A l’inverse, s’apprêter à « décrocher la lune » annonce une « lune de miel » des plus torrides romantiques.

 

A force de la voir luire, ce qui devait arriver arriva : on a déifié la belle en Luna. Chez les Anciens, elle désigne indifféremment l’astre et le mois lunaire, comme chez les Comanches. Les Anglo-saxons ne sont pas en reste : moon et month vont de pair.

Tout ceci remonte à leuksna-, prolongement du radical indo-européen leuk- qui éclaire encore dans tous les recoins, de light à Licht en passant par lumière, lueur, luciole et luxe (soit tout ce qui brille). Jusqu’au grec leukós, « blanc », qu’on retrouve dans des joyeusetés telles que leucémie (cancer de la moelle osseuse) ou leucodystrophie (affectant la myéline, cette substance blanche du cerveau et de la moelle épinière).
Voilà déjà un point d’élucidé.

 

Mais pourquoi la lune nous suit ? Justement pour nous éclairer où qu’on aille, et non – comme on voudrait nous le faire croire – parce qu’elle est plus loin de nous que le paysage terrestre qui défile.

La semaine prochaine, nous nous attaquerons à l’étymo de pleins phares.

Merci de votre attention.

 

Développer ses photos

 

« Le message, c’est le médium », clamait McLuhan le grand. Autrement dit, la forme conditionne le fond. Pas de rock’n’roll sans électricité. Pas de frites sans friteuse.
Pas de photos sans téléphone ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

C’est parce qu’on n’est plus obligé de développer ses photos qu’on les gâche.

Du temps de l’argentique, la pellicule n’était pas extensible. Il fallait donc drôlement s’appliquer au moment de choisir son sujet pour l’immortaliser via le petit zoiseau. Les photos, rares, étaient en général réussies. On les conservait dans de gros albums de famille que l’on consultait pieusement parce qu’on ne pouvait pas faire autrement : deux genoux minimum.

Aujourd’hui, il suffit d’un téléphone pour mitrailler toute la journée si ça nous chante. Mais ce sont des photos creuses, interchangeables. Elles ne sont plus précieuses. Il ne nous viendrait pas à l’idée de les appeler « clichés », d’ailleurs. Vingt contre un que ce mot s’éteindra dans le siècle.

 

A cet égard, le verbe développer prend tout son sens. Emmener ses photos à « développer », c’est comme confier ses chrysalides à un professionnel pour les retrouver papillons.

Etymologiquement, photographier, c’est « écrire avec la lumière ». Les bonnes photos ont même droit à une légende, « ce qui mérite d’être lu ». Or, cette notion d’écriture disparaît. La preuve, on ne les regarde plus sur papier. Les écrivains de lumière n’ont même plus à se soucier de focale ou d’effets, désormais intégrés. Sentez la noblesse perdue ?

 

Aujourd’hui, tout le monde photographie tout, tout le temps. Ça nous prend comme une envie de pisser, notamment le selfie, posté dans la seconde à l’attention de la planète comme si notre vie en dépendait. Plutôt élargi, le cercle, à défaut d’être concerné.

Au lieu de nous souvenir de la scène, notre premier réflexe est de la stocker. On aurait tort de se gêner, le stockage est infini (« le message, c’est le médium »). Résultat : on découvre avec effarement des photos vieilles de trois mois qu’on avait oubliées sitôt prises. Ou plutôt qu’on n’avait gardées que dans la mémoire de l’appareil.

 

Avec un temps d’attente de plusieurs jours et en nombre limité par tête de pipe, nos photos redeviendraient moins banales. Automatiquement.

Merci de votre attention.

 

Lampe

 

Quoique parfaitement inutile, une lampe sans ampoule conserve son charme. Ce n’est pas le cas de l’ampoule sans lampe – surtout les nouvelles générations, en forme d’intestin grêle. Où l’on voit que la lampe fut conçue pour égayer l’ampoule.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Au chapitre lampe, le dico est peu disert :

appareil d’éclairage

puis, par métonymie :

ensemble formé par le support, l’abat-jour ou le réflecteur et la source lumineuse.

La belle brille dès 1119, les Zanciens désignant même par son nom « l’éclair, la foudre ». Au point qu’on s’autorise alors chez les hubertreeves à parler de « lampe ardente » à propos d’un « météore ressemblant à une torche ».

C’est précisément à la « torche » et au « flambeau » latin lampas, lampadis que l’on doit d’allumer nos lampes. Voyez au passage d’où sort le lampadaire et comme il serait pratique de pouvoir l’éteindre à notre guise. Par ailleurs, si les clébards marquent leur territoire au pied d’un lampadaire, ils ne feront pas de même avec la lampe pour la bonne raison que, pas fou, vous l’aviez mise en hauteur. La nature est bien faite.

Transition subtile vers l’expression « prendre des vessies pour des lanternes », à la lumière desquelles on distingue lanterna, nasalisé pour faire bonne figure de laterna, adapté du grec lamptêr qui dérive de… ? Décidément tout s’éclaire.

Lampas descend en droite ligne du verbe grec lampein, « briller », nasalisé pour faire bonne figure de la racine indo-européenne lap-, « éclairer, brûler ».

 

N’oublions surtout pas les vigoureux lamper et lampée (fait de « boire »), lampe faisant office d’« estomac » dans l’argot du XVIIe. Le tout nasalisé pour faire bonne figure de laper.

Quant au lampiste, s’il était à l’origine chargé d’entretenir les lampes, il est devenu à son corps défendant celui « sur lequel retombe la responsabilité des fautes imputables à ses supérieurs ». Dans son cas, on parlera aussi de fusible et il sautera toujours au moment opportun.

Merci de votre attention.

 

Plafond

 

Inutile d’aller chercher un hypothétique plafundus originel. Z’allez sauter au plafond : littéralement, un plafond est un « plat fond ». Sans être spécialement bas de plafond, les verlanophones n’ont rien inventé.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A ce compte-là, qu’est-ce qu’un faux plafond sinon un fond plat faux ? A la place du peintre, on engueulerait le géomètre. Ou on enverrait pètre le géomeintre (ce qui revient au même).

 

Les architectes à qui on n’avait rien demandé commencent à causer platfons en 1546. Attesté dans sa graphie actuelle une poignée d’ans plus tard, on l’écrit encore platfond ou plat-fond jusqu’au XVIIIe siècle.

 

Au fond, vous aviez raison : il y a du fundus là-dessous, le fond de toute chose en latin. Voyez le s ? Il s’est blotti dans fonds, sans lequel en effet on rechigne à attaquer les travaux et on boude dans son coin. L’indo-européen commun bhudh- a d’ailleurs valu aux Zanglais leur bottom et aux Gaulois la bonde que nous remplissons à ras bord.

Quant à plat, le latin des rues plattus l’a volé à l’étalage chez le grec ancien platus, lui-même copié-collé de l’indo-européen plat-, « étaler ». Dirait-on pas le cri de la couche de peinture le soir au fond des bacs ? Meuh alors.

 

Reconnaissance ultime : les lampes qu’on applique au plafond portent le doux nom de plafonnier. Quant à plafonner, il équivaut plus souvent à « être au taquet » qu’à « poser du placo », il faut bien le dire.

 

La prochaine fois, nous nous attaquerons au plancher. Il y aura du pain sur la planche.

Merci de votre attention.