Lune

 

Les lunettes ont été conçues pour observer la lune. Surtout pas le soleil, qui ne se regarde pas en face – même avec des solaires.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

C’est vrai ça, qu’est-ce qu’une lunette sinon une petite lune ? Du moins lorsque celle-ci est pleine ; des binocles en forme de croissants de lune, on n’y verrait que dalle.
En parlant de ça, rappelons qu’on a tous des lunules à la base des ongles. Et que lundi, premier jour de la semaine excusez du peu, lui est dédié.

Sa rotondité en évoque d’autres : on n’hésite pas à « montrer sa lune » si on est « mal luné ». A l’inverse, s’apprêter à « décrocher la lune » annonce une « lune de miel » des plus torrides romantiques.

 

A force de la voir luire, ce qui devait arriver arriva : on a déifié la belle en Luna. Chez les Anciens, elle désigne indifféremment l’astre et le mois lunaire, comme chez les Comanches. Les Anglo-saxons ne sont pas en reste : moon et month vont de pair.

Tout ceci remonte à leuksna-, prolongement du radical indo-européen leuk- qui éclaire encore dans tous les recoins, de light à Licht en passant par lumière, lueur, luciole et luxe (soit tout ce qui brille). Jusqu’au grec leukós, « blanc », qu’on retrouve dans des joyeusetés telles que leucémie (cancer de la moelle osseuse) ou leucodystrophie (affectant la myéline, cette substance blanche du cerveau et de la moelle épinière).
Voilà déjà un point d’élucidé.

 

Mais pourquoi la lune nous suit ? Justement pour nous éclairer où qu’on aille, et non – comme on voudrait nous le faire croire – parce qu’elle est plus loin de nous que le paysage terrestre qui défile.

La semaine prochaine, nous nous attaquerons à l’étymo de pleins phares.

Merci de votre attention.

 

« Au plus haut sommet de l’Etat »

 

Jetons pas la pierre aux journaleux. Le vrai luxe, c’est le temps et dans les métiers où on n’a pas le temps, comme la journaleuserie, tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de prononcer

au plus haut sommet de l’Etat

est impossible.

Mais soufflons un coup et revenons à nos moutons, moutons.

Comme ça, sans réfléchir, la périphrase a fière allure. Elle en supplante une autre, « à l’Elysée », elle-même signifiant à mots couverts (mais à vous qui avez des lettres on ne la fait pas) « dans la tête du Président ». Sauf que ceux qui, à tue-tête, font référence « au plus haut sommet de l’Etat » évoquent en fait (on l’aura compris [et ils l’admettront volontiers si on les titille un peu]) « le sommet de l’Etat ». Est-ce à dire qu’emportés par leur élan stylistique, ils déglacent avec du superlatif ?
Dans ce cas, pourquoi ne causent-ils pas, tant qu’à faire, d’un « plus bas sommet de l’Etat » ?

La réalité, la voilà : « au plus haut niveau » devient logiquement sommet, et c’est « au plus haut sommet » qui sort, qu’est-ce ‘oulez qu’j’vous dise.

 

Faut dire que cette affaire de sommet remonte au tout premier cours de géo, bien avant l’adret et l’ubac. Temps immémoriaux où nous fut inculqué ce qui aurait dû rester gravé dans le roc (c’est le cas de dire) : un sommet, c’est le point le plus haut, par définition.

 

Et les étapes du Tour de France, où les coureurs s’enquillent sommet après sommet* ? Sur une journée de montagne, chipotez-vous, il s’en trouve obligatoirement un plus haut que les autres ! Pas si on considère que chaque sommet n’est que le point culminant de son propre col. Aha, je vois qu’on la ramène moins, tout d’un coup.

 

Vu qu’en principe, il n’y a qu’un Etat par pays (et les structures pyramidales étant ce qu’elles sont), celui-ci n’a d’autre sommet que là où l’on a placé son chef, en l’occurrence le palais présidentiel.
Devant le faste duquel rien ne sert de baver puisque le vrai luxe, c’est le temps, les poteaux.

Merci de votre attention.

 

* Au passage, ce mot prononcé par Jalabert est lui-même un sômmet.