Coordonnées

 

Faites bien gaffe à qui vous laissez vos coordonnées. D’aucuns seraient capables de vous retrouver.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Naguère latitude et longitude, qu’entend-on de nos jours par coordonnées ? Numéro de téléphone, adresse postale et, depuis la fin du siècle dernier (notez, futurs historiens), électronique. Depuis qu’on envoie des courriels par-delà les océans, plus personne n’a le pied marin.

 

Avec un sextant, pas le choix : on n’obtient un point sur la carte qu’en recoupant deux coordonnées. Dans un répertoire, le terme se galvaude à la vitesse d’un drone au galop. Une seule coordonnée suffit à vous mettre le grappin dessus.

Car co-, quoiqu’il aille avec tout, n’est pas là pour la déco. Un bateau perdu en mer qui n’indiquerait que sa position longitudinale ne risque pas de revoir sa Normandie. Les secours y réfléchiraient à deux fois avant d’embarquer pour un tour du monde.

 

Définition du cours de maths, parce qu’on n’y coupera pas :

distance à l’origine de la projection d’un point sur des axes de référence.

L’abscisse et l’ordonnée, pour ne pas les nommer. Pourquoi la première vit-elle sous le patriarcat de l’autre ? Le couple aurait très bien pu s’appeler coabscisses, si toutefois ç’avait été facile à écrire.

 

Mais alors, que mettre en abscisse ? L’adresse ? Et en ordonnée ? Ça ne tient pas. Encore une fois, on peut vous localiser par n’importe quel moyen. Contrairement au téléphone fixe qui vous assignait à résidence (z’allez de révélation en révélation, futurs historiens), le portable vous accompagne hors de vos pénates. On n’est plus chez soi.

Quant aux « coordonnées bancaires », elles ne sont qu’une série de codes chiffrés. Nada qui ressemble à un quelconque croisement sur nos deux axes chéris.

 

Comment Maître dico justifie-t-il ce piratage de coordonnées ?

Par extension et familier.

Sauf son respect, il rame un peu sur ce coup-là.

Merci de votre attention.

Envoyé de

 

Si au bas d’un courriel figure la mention : « envoyé de mon [bidule] », pas besoin d’aller le crier sur les toits, le bidule s’en charge tout seul.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Que vous le vouliez ou non, un bidule aura toujours le dernier mot sur vous. On n’arrête pas l’autosatisfaction le progrès.

Pour quelle valeur ajoutée ? Aucune. Le courriel aurait été strictement identique « envoyé de » n’importe quel autre bidule.

L’info doit pourtant revêtir une importance quelconque. Mais pour qui ? Pas pour l’expéditeur, forcément au courant. Le destinataire alors ? Et que peut bien lui chaloir de connaître le modèle du joujou à l’autre bout ?

En d’autres temps, quand votre correspondant appelait d’une cabine, lui serait-il venu à l’idée de préciser laquelle ? La référence du stylo, le nom du pigeon voyageur, lorsqu’il vous écrivait ?

envoye-2

Gluante comme le plus gluant des mopsrolls*, la pub s’insinue décidément partout : au dos des tickets de caisse, de ciné, en surimpression sur la pelouse des stades, avant et après un programme télé, y compris à l’heure où elle est censée faire dodo… Guettez guettez : un, deux voire trois sponsors violent systématiquement le couvre-feu. Souvent sans rapport aucun avec la choucroute ni même avec une marque :

avec le film [Truc-muche].

Sans doute parce que le chef-d’œuvre en question comporte du placement de produit et renvoie l’ascenseur bien gentiment au susnommé. Dans le genre mopsroll qui se mord la queue, hein.

 

« Envoyé de » est aussi là pour faire croire que le message importe moins que son point de départ. Numérique, s’entend. Parce que géographiquement, les bidules nous suivent partout.
Jusque dans notre signature.

Merci de votre attention.

 

* c’est comme une pub, en moins visqueux.

Oublier la pièce jointe

 

Sauf adorateurs du Dieu postal et viocs irrécupérables, voilà un mal qui nous concerne tous sans distinction d’âge, d’opinion, d’origine ou de gonades : balancer un courriel en omettant de joindre le fichier qui en faisait l’objet. Summum de la rageure (qu’exceptionnellement vous pouvez prononcer « rageur »).

Mais revenons à nos moutons, moutons.

La chose est surtout contrariante pour le destinataire. S’il est dans un bon jour, il badinera à propos de la distraction de l’envoyeur par retour de mail. S’il piaffe en revanche depuis des lustres en attente de la pièce jointe, il envisagera l’option pneus crevés à court terme.
Oubliant que lui-même se fera un jour prendre au piège.
Car selon une étude de l’Observatoire des Messageries Electroniques et des Réseaux d’Echanges (O.M.E.R.D.E.), 100% des usagers pratiquent l’oubli de pièce jointe de manière régulière.

 

« Oubli » fâcheux certes, mais moins involontaire qu’il n’y paraît.

•  Il constitue déjà une preuve touchante d’empressement.

•  Il signifie aussi à l’autre qu’un tel fichier, ça se mérite, qu’il n’est pas à mettre entre toutes les mains et que si vous l’avez gardé par-devers vous, c’est moins par inadvertance que pour marquer le coup, alors un peu de respect.

•  Par ailleurs, on a beau jouer les blasés, ces petits miracles tressés de 0 et de 1 sont un ébahissement sans cesse renouvelé. C’est pourquoi nous cédons au désir inconscient – pour ne pas dire refoulé – d’en balancer deux pour le prix d’un. En y joignant la fameuse pièce pour finir, ainsi qu’une excuse plus ou moins sincère.

•  Penchant naturel encore plus enfoui : passer mutuellement pour des glandus aplanit considérablement les sentiments d’infériorité et de supériorité. Le tout rapporté à l’échelle de la planète ! Vous mesurez le bienfait pour l’humanité ? Sans limites est la puissance de l’instinct.

 

Aussi, ne voyez dans la prochaine pièce jointe oubliée qu’un signe de bienveillance et de paix entre les hommes.
Amen, merci de votre attention.

 

Les arobases anonymes

 

Moyen de mesure infaillible de la subtilité de nos contemporains : le libellé de leur adresse mail. On sait précisément à qui on a affaire dans tous les cas. Etat civil tout attaché ou discrètement ponctué, au choix. Ou dès que ça se gâte, hésitation entre le « tiret du 6 » (-) et son homologue « du 8 » (_). Que certains, au faîte du m’as-tu-vu, croient bon d’épeler « underscore ».

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A côté de sa consœur postale, l’adresse électronique apparaît souvent bidon au possible. Comme si celle-ci permettait de se « venger » de celle-là via le choix d’un pseudonyme, dont la transparence le dispute à l’originalité.
Exemple :

sbkeke80@truc.fr.

Noter la présence systématique d’un chiffre qui signale soit l’année de naissance du propriétaire, soit, davantage gratiné, son département chéri. D’aucuns poussent le vice jusqu’à indiquer une date de naissance complète, message à peine subliminal de juvénilité adressé aux épistoliers potentiels.

D’autres prendront un malin plaisir à mettre au point une combinaison de lettres et de chiffres dont eux seuls ont la clé. Elle a toutes les chances d’être retenue par le destinataire :

m-b1zaz92.balou@chose.com.

Tenez pas plus que ça à ce qu’on vous écrive ? C’est dans la poche.

Mais les plus coriaces ne s’arrêtent pas en si bon chemin, parvenant même à ce que le nom de l’opérateur nous échappe. Au point qu’on s’interroge sur son authenticité :

jm_big.rdozu4x@kestata.net.

S’ils pouvaient trafiquer l’arobase, y’en a qui se rueraient.

 

Faut pas exagérer, tout le monde n’a pas un blase si commun qu’il faille le crypter pour se donner un genre, si ?

A l’instar du blaireau qui ne roule d’un point a à un point b qu’avec toutes les options, celui qui customise sa messagerie en code codé le fait pour des nèfles puisqu’il ne génère que des erreurs de routeur.
Ou des regrets du temps d’avant la Toile, c’est dire.

Merci de votre @ttention.

 

« A la cranberry »

 

Courriel a beau jouer des coudes, nous persistons à nous envoyer des mails. La force de l’habitude aura même eu raison du e- indiquant la forme électronique desdits courriers.

T’as reçu mon méïl ?

Pourquoi, d’instinct, avons-nous adopté le petit animal ? Pour sa taille, déjà. Mais surtout pour récupérer nos billes. Un mail n’est jamais qu’une malle recyclée, pas croyable hein ? Fin XIe, cette « male » servait au transport des affaires ou du courrier (la malle-poste : « ancienne voiture des services postaux »). Il n’en fallait guère davantage pour que les Anglais passant par là nous piquassent le mot. Une métonymie plus tard, le voilà qui désigne non plus seulement la « sacoche » du postman mais aussi son précieux contenu. Nous sommes au XVIIIe siècle (voix d’Alain Decaux).

Mais revenons à nos moutons, moutons. Et buvons un coup.

Vous vous dites : quel rapport avec le titre ?

Pourquoi qu’on passe par la Poste, d’abord ?

Pour vous montrer qu’un terme anglais (a fortiori sorti d’un moule perso) s’utilise sans broncher s’il n’a pas d’équivalent chez nous.
Courriel arrivant monté de toutes pièces après la bataille, on lui préfère mail. That’s the way it goes.

 

EN REVANCHE, il est permis de voir rouge devant un jus de fruits « à la cranberry ». La marque (ça commence par Tropi-, ça finit par –cana) pratique l’excommunication des airelles jusque dans la composition du jus, qu’elle égrène, imperturbable :

orange, pomme, cranberry (11%), raisin, griotte, kaki, sureau, citron.

Me dites pas que le mot français pour cranberry court pas les rues ! Sa variante nord-américaine canneberge rivalise même de joliesse. Le plus si pire, c’est que le même breuvage dans sa version canadienne devient « cocktail aux canneberges ».

Ouaip mais cranberry :

  • ça fait mystère. Des airelles, on en a tout le tour du ventre à longueur d’année ; dans l’autre langue, on jurerait un fruit exotique. Rappelons que seuls les spécialistes ès baies anglaises s’y retrouvent à coup sûr entre cranberry (airelle), raspberry (framboise), strawberry (fraise), gooseberry (groseille à maquereau), blueberry (myrtille), blackberry (mûre)…
  • justement, ça fait Blackberry, donc à l’aise avec son époque. Curieuse manie qu’ont les joujous usuels (smartphones, ordis) de s’arroger des noms de fruits d’ailleurs (Blackberry, Apple).
  • ultime « valeur ajoutée », ça fait Cranberries évidemment, ce groupe irlandais grâce auquel on se surprend encore à iodler sous la douche à propos de zombies.

 

C’est peu ou prou ce qu’ont dû se dire les pubeux ayant planché sur « la cranberry » (qu’il a fallu au passage franciser au féminin singulier).
Ou alors c’est juste mon imagination.

Merci de votre attention.