Ecraser comme une merde

 

Je vous écraserai comme une merde :

la menace n’est pas à prendre au sérieux. A quand remonte la dernière fois où vous avez intentionnellement écrasé un étron ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Contrairement à ce que laisse entendre cet énoncé avec ses airs supérieurs, avoir les chaussures pleines de caca met rarement en joie. A telle enseigne que pour conjurer le sort, la superstition veut que « ça porte chance ». A condition de marcher dedans malencontreusement, rappelons-le.
Or, le fait d’écraser ne prête le flanc à aucune équivoque : on y met sciemment le pied.

 

Et n’allez pas chercher un sens caché dans ce comme. La conjonction ici n’a pas valeur de comparaison, comme dans

je vous écraserai comme un bulldozer.

Elle sous-entend bien sûr :

je vous écraserai comme on écrase une merde,

attendu que merde ne peut être le sujet d’écraser.

Le locuteur se tire donc une balle dans son pied puant : on n’écrase pas une merde de gaieté de cœur. Ou alors, dans un contexte bien particulier, avec un partenaire consentant – et dans consentant, on sait ce qu’il y a.

 

La seule raison d’être de ce gigantesque contresens est la possibilité de traiter l’autre de « merde » au passage. Lancez-lui :

vous êtes une merde,

le compte n’y est pas.

Si vous dites :

je vous écraserai,

non plus.

L’image du bulldozer, trop mécanique, peine elle aussi à convaincre.

Seul

je vous écraserai, pauvre merde

s’en tire avec les honneurs.

Merci de votre attention.

 

Répugnant

 

Répugnant, répugner à : vingt contre un que tout ça est famille avec pugnace et le pugilat qui s’ensuit. Pugnace prononcé comme Ignace ? Vous pouvez très bien y répugner, au motif que « puguenace » rend davantage justice à l’étymo – et en jette un max par ailleurs. Dans ce cas, soyez logiques : « répuguener », « répuguenant ». Ah si si.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Pas besoin d’en faire des tonnes sur le sens de répugnant, on sait à quels rictus de dégoût l’épithète peut conduire.
Fort bien mais quel rapport avec pugnacité, combat, gnaque, fighting spirit et autres synonymes pour demeurés ? Le cousinage évoqué à l’instant ferait pschitt ?

Baissez pas les bras. Repugnare, « lutter contre, s’opposer à, résister » : le verbe latin est en plein dans le sujet.
D’ailleurs le premier repugnant attesté fait figure de « résistant ». Même topo pour la forme verbale : « repugner a » = « s’opposer à, être contraire » en 1365.
Frontale, la lutte.
Les fins lettrés n’étant jamais très chauds pour se mettre sur la gueule, le sens évolue lentement mais sûrement en « ressentir une grande aversion à faire quelque chose ». Et plus laconiquement, à l’époque de Louis XIV, « manquer d’enthousiasme pour ».
Mouchetés, les fleurets.

 

Rentrons dans le vif du sujet. Pugnare (auquel on a ajouté re- pour bien insister) signifie déjà « se battre, donner des coups, cogner ».
A cause du pugnus qui a donné notre poing, formé sur l’indo-européen peuk- (« frapper »).

Et inexpugnable alors ? Tout juste : « qu’on ne peut prendre d’assaut ».
Comme quoi c’est vraiment pas la peine de chercher la baston.

Merci de votre attention.

 

Les faux alexandrins

 

Soulevons aujourd’hui cet épineux problème :
On se rend couramment, par ignorance ou flemme,
Coupable d’aligner de faux alexandrins ;
C’est là, ma foi, le fait de nombreux malandrins.

Mais revenons céans à nos moutons, moutons.

Que la césure, encor, s’écarte un peu de six
Afin de pimenter certain vers, admettons.
Enfin quoi, sacrebleu, voici un exercice
Auquel on ne s’astreint tous les quatre matins !
Autant donc s’arranger pour que son baratin
Soit si bien composé qu’il ne prête le flanc
A nul formel reproche, accusation de flan
Ni objection narquoise au nom des grands auteurs
Lassés en leur tombeau d’imiter la toupie.

Sans causer hémistiche ou hiatus à cette heure,
Il faudra bien un jour que revoient leur copie
Ces rimeurs laborieux qui, haut et fort, déclament
Leur bancal scribouillage (inconscients du drame ?)
Sans s’enquiquiner même à chercher l’élision
– Ceux-là précisément font encore illusion.

Un exemple au hasard afin de mieux comprendre :

Ecrivant comme un pied, ils les livrent par douze,
Auraient tort de se priver : personne pour les reprendre !
D’ailleurs ils s’en balancent, tant qu’aboulera le flouze.

Mesurez-vous l’aplomb de pareils charlatans ?

La versification, pas compliquée pourtant,
Exigerait ici e muets en pluie ;
Le texte siérait même en entier amuï.

Que tous les plumitifs espérant s’en sortir
En noyant le poisson sous ces piètres appas
Sachent qu’on n’est pas dupe et que de divertir
A diversion, hélas, il n’y a qu’un (faux) pas ;
Point trop ne faut mémé dans les orties pousser.

D’ailleurs, à moins d’avoir le tympan émoussé
Par tant d’atrocités, le dieu de la scansion
Reconnaîtra les siens.

Merci d’votre attention.