Plantureux

 

Chez les mâles, seul festin a droit à plantureux. L’épithète est presque exclusivement féminine, ne serait-ce qu’au niveau des formes. Y aurait-il une histoire de belle plante là-dessous ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Plantureux a pour définition

bien en chair

et par extension, « opulent », « généreux », « tout ce qu’il faut là où il faut ». Dès qu’on parle d’une chose, plantureux redevient

très abondant.

On parlera d’une « végétation plantureuse » lorsqu’on en aura marre de luxuriante, autant dire pas de sitôt. Y aurait-il une histoire de luxure là-dessous ?

plantureuse

Au XIIe siècle apparaît « plantëurose » (« fertile, riche »), puis « planteurouse » (« largement pourvue ») et, quelques années plus tard, « von Ribbentrop » mais là, c’est parce qu’on n’avait pas fait demi-tour à temps.

Dès ces versions primitives, il semble qu’on se soit mélangé les crayons entre heureux et plentiveux, lequel n’a rien de plaintif puisqu’il prolonge plenteif (« fertile, abondant »).
Le vioc adjectif prend lui-même sa source dans le substantif plentet, plentee ou plenté (y’a plein de versions) : « abondance, grande quantité ». L’anglais plenty lui ressemble encore a lot.

D’« abondance » à « plénitude » , il n’y a qu’un plenus, latin pompé sur le radical indo-européen pele-, « remplir », qu’on a déjà pelé.

 

Pourquoi plantureux a-t-il bifurqué vers ce a de pure coquetterie ? Sans doute parce que nous autres avons tendance à confondre plein et plain. A notre décharge, une mer « étale » (planus) donne un sentiment de « plénitude » (plenitas) assez considérable.
Pour sa part, l’anglais plain ne manque jamais de souligner le caractère « ordinaire » d’une surface plane.
Alors qu’entre « plate comme une limande » et plantureuse, y’a pas photo.

Merci de votre attention.

 

Tapisser contre le mur ?

 

Pointez-vous dans n’importe quelle bourgade du globe, vous constaterez – non sans un certain effarement – que le papier peint n’orne jamais les murs extérieurs. Maisons, appartements, mobil homes, guérites, niches, tous logés à la même enseigne.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

C’est ainsi, l’homme de la rue n’est pas autorisé à voir vos lés, aussi beaux soient-ils. A moins d’y avoir été cordialement invité ou de lorgner par la fenêtre comme un forcené, il devra se contenter de la peinture par défaut de la façade. Vous et votre entourage êtes les seuls à profiter pleinement de la tapisserie. C’est dire l’égoïsme.

 

Car si vous faites le compte, l’écrasante majorité de la population n’a de votre doux foyer qu’une image tronquée et impersonnelle (même si vous misez tout sur la boîte aux lettres ou la teinte de vos volets). Vous vous échinez donc à coller cette saloperie en pure perte.

Et sauf perron à colonnes, le mauvais goût ne sautera pas aux yeux du quidam. Sans papier peint en étendard, comment saura-t-il à coup sûr quel seuil éviter ?

 

Les gros blaireaux férus de tuning jettent-ils leur dévolu sur les parois de leur habitacle ? Point, point : ce sont les piétons alentour qu’il s’agit d’éberluer.
Idem pour les discothécaires du week-end, faute de quoi les voilà condamnés à faire tapisserie toute la nuit.

 

Quant à cette soi-disant impossibilité due aux intempéries, la spécialiste Huguette Néné, auteur d’un récent ouvrage sur le sujet *, indique qu’en milieu tempéré, les riverains se gondolent plus vite que le papier peint placé à l’extérieur.

 

Rappelons enfin que tapisser consiste littéralement à disposer des tapis à la verticale. L’incongruité à son faîte.
Si ça se pratique dedans, pourquoi pas dehors, au lieu du crépi ou des briques ?

Merci de votre attention.

 

*Huguette Néné, Un ouvrage sur le sujet, APUF 2016.

 

Ad libitum

 

Faute de pouvoir traduire ad libitum par un synonyme 100% sûr, le français moyen en est réduit à chercher des équivalents : à l’envi, jusqu’à plus soif, jusqu’à épuisement des stocks, et plus si affinités.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Parmi tout ce qui précède, bien malin qui pourrait dire ce qui sur le plan littéral s’approche le plus de la locution latine. Raison pour laquelle nous l’avons conservée intacte, à tous les coups. Tout en lui donnant du « ad lib. », marque d’affection que nous ne réservons guère qu’à etc., excusez du peu.

 

On n’a pas toute la journée.

Ad : « à » avant la lettre. Préposition dont la particularité est de s’adjoindre tout ce qui passe.

Libitum fait de son côté furieusement penser à libido. Engagés sur cette pente du stupre, ne serions-nous pas en train de nous éloigner du sujet ?

Détrompez-vous. Libitus et « plaisir » sont cul et chemise, si si.

En Latinie, le mot voit le jour comme participe passé substantivé de libere, « plaire ». Car si « ich liebe dich », c’est d’abord parce que « tu me plais ». Et avant de nous lancer des noms d’oiseaux, souvenons-nous qu’un quolibet est à l’origine une question improvisée, débattue librement, selon quod libet : « ce qui plaît ».

Quant aux lubies qui se déclarent sans crier gare, elles bourgeonnent sur le verbe lubere, variante – on vous le donne en mille – de libere.

 

Pas étonnant que les partitions des musiciens regorgent d’ad libitum. Occasion rêvée pour l’interprète de jouer enfin selon son humeur, « à plaisir » ; moyen détourné pour le compositeur de ne pas trop se casser la nénette.

Merci de votre attention.