« Réduire de moitié »

 

L’époque étête, écorche, équeute, soi-disant pour aller plus vite. Dans ces conditions, comment expliquer qu’aucun verbe du XXIe siècle ne signifie « réduire de moitié » ? Ça réduirait de moitié le temps perdu à le dire.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Réduire à néant : anéantir. Un soupçon : atténuer. Petit à petit : amenuiser.
Et pour les stades intermédiaires, nada ? A moins que le concept de moitié ne gêne aux entournures ?

Qu’« ademier » peine à s’imposer, encore ; accointances avec anémier, confusion possible avec admettre… Admettons.
Mais, sans aller chercher un néologisme à deux ronds, rien n’empêche de « mi-réduire ». Les futures générations se feront même une joie de le réduire en « miréduire », comme midi et minuit.

Et « mi-réduire », ce serait encore « mi-garder », selon qu’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide.

 

Parce qu’à force de ne voir en réduire que du négatif, le problème reste entier. Tricher à moitié, c’est toujours tricher. Mentir à moitié, idem. Enfreindre, n’en parlons pas. Et on ne déconne qu’à moitié.

 

Pourquoi pas « moitier », tout simplement ? Vif, inaltérable (on ne peut lui prêter aucun autre sens) : le compagnon idéal.

Et peinard à conjuguer, avec ça :

Il a réussi à moitier son poids.
Tu me moitieras tout ça pour demain matin.
Qui aime bien moitie bien.

On voit l’écueil : « moitier » deviendrait vite synonyme de « diviser par deux ».
Ou de « multiplier par 0,5 », selon qu’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide. Auquel cas on pourra faire une place à « antidoubler », y’a pas de raison.

 

La semaine prochaine, nous nous attaquerons à « enfourner à mi-hauteur ».

Merci de votre attention.

 

Clivant

 

Est-ce le Gaulois qui sommeille en nous, cet être querelleur, toujours prompt à s’entredéchirer, qui nous pousse vers le clivant ? Rares sont les sujets qui échappent désormais à ce maso qualificatif. Meuh qu’est-ce que c’est que cette société où le clivant est roi ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Si je ne m’abuse, est clivant ce qui divise, right ? Au XVIe siècle déjà, nous copiâmes cliver (« fendre ») sur le néerlandais klieven de même sens.

Or, rendons-nous à l’évidence, le concept d’unanimité n’existe plus que dans l’esprit tordu des dictateurs bananiers au régime de terreur.
En partant du pincipe qu’il y aura toujours des pour et des contre, à propos de tout et dans quelque proportion que ce soit, « sujet clivant » est un pléonasme douze carats comme on les aime.

Cette division, votre sens de l’équité, conforté par un imaginaire bipolaire qui va du yin et du yang au jour et la nuit en passant par la gauche et la droite, vous la fait concevoir à parts égales. Clivant, oui, mais au milieu. Qu’une majorité se dégage, c’en est fini du clivage. Et qui dit clivage dit irréconciliable, ce qui promet de se foutre sur la gueule pour longtemps.
Enervant, le clivant.

 

Avez-vous remarqué au passage son discret parfum de néologisme ? Dans le sillage du verbe (cliver) et du nom (clivage), clivant se fait fort de combler un manque, à la manière de son cousin inspirant qui passe la tête avec insistance (les Angliches ayant leur inspiring depuis Lord knows when).

 

Sans compter que l’épithète se la pète. Non seulement, on l’a vu, par son côté précccccciiiiieuuuux, mais aussi parce que le sujet qu’elle qualifie est automatiquement bombardé important. Untel décrète que

c’est un sujet clivant,

on doit l’entendre au sens de « qui nous concerne tous » ou se taire à jamais (v. aussi comment naissent les débats). Alors que la plupart du temps, seul un microcosme joue à s’écharper. Pendant que vous et moi gardons notre opinion pour nous, merci – si tant est que nous en ayons une sur le sujet.

 

On pourra toujours compter sur un gus assez inspiré pour se fendre d’une intervention propre à « dépassionner le débat ».

Merci de votre attention.

 

« H24 »

 

Sauf le respect dû aux personnels soignants qui l’ont propagée, « H24 » est une de ces expressions têtes à claques du jargon d’origine d’abord, du langage usuel par suite. Dorénavant, les occases ne manquent pas d’apprécier l’efficacité d’un service « H24 », à savoir ouvert en continu au même titre que vos urgences préférées. Pas celles du Chôrch Clooney, les vraies, où un interne lambda parvient à la nuit tombée à désolidariser votre métacarpe du foret à béton qui s’y était fortuitement lové depuis le dimanche matin, et à la santé duquel vous sortez gueuletonner dans un de ces établissements claironnant « H24 ».

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Outre l’aberration qui consiste à s’empiffrer de quatscheraille (déjà) à point d’heure (en plus), on aimerait voir dans « H24 » autre chose qu’un raccourci de gros feignant pour le lumineux « 24h/24 ».
Deux siamois dans les jupes de leur unité, caractère exceptionnel, tsss, laissez ça aux has-been et aux premiers de la classe. Les vrais initiés, eux, ne s’escagassent plus.
« 24h » tout court ne menant nulle part pour dire « non-stop », place au ténébreux chiffre unique inversé. Vous mesurez la charge de branchitude radioactive par laquelle ce petit truc vous écrase de toute sa superbe ?

monet

Fils de Tout-tout de suite et de Tout-tout le temps, « H24 » colle pile-poil à notre ère de fraises en hiver, de drive-in et d’instantanéité galopante. Celle qui, pour cause d’économie à faire tourner, vient nous arracher à un repos dominical paisible – sauf Black & Decker récalcitrante.

Sur le même principe, marche avec « J7 ».
Dans l’eau.

Merci de votre attention.