Créneau

 

La technologie nous prive de la fierté d’un créneau réussi. Avant quelques années, elle nous trouvera un créneau sans qu’on ait à déballer l’agenda. Il y a de quoi monter au créneau.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Epatante, cette polysémie, s’pas ? Et encore, si on ne s’était pas retenu, créneau désignait aussi un courant de pensée, une danse folklorique et un écarbineur à propulsion.

 

Sauf qu’à y regarder de plus près, on commence à être tout doucettement chiffonné aux entournures. Le créneau du château fort, c’est bien ce gros carré pierreux permettant de se planquer en cas d’assaut. Or, depuis qu’on vit en démocratie, un créneau n’est plus qu’un espace vide. Entre deux rendez-vous :

il me reste 12h30

ou deux voitures :

jamais de la vie ça passe.

Tout l’inverse de la tour de guet !

L’on s’en rend mieux compte avec l’adjectif crénelé, qui nous remet en mémoire avec un à-propos sidérant le crenel première manière.

 

En l’an de grâce 1154, ne dit-on point encore un crenel, des creneaus, de même qu’un castel, des châteaux ? Marche moins bien avec mâchicoulis, qui ne se laisse pas approcher si facilement.

Figé en creneau à la fin du XVIe siècle, on le doit – tiens c’est vrai – à cran, anciennement cren. De nos jours encore, notre cœur balance entre cranté et crénelé.

Au XIe siècle en tout cas, on est à crens, déverbal de créner, « entailler », notamment un caractère en typographie. L’aïeul crinare a toutes les chances d’être de sang gaulois, ce que nous souffle le vieil irlandais ar-a-chrinin, « disparaître, se casser en tombant », le latin cernare déjà cerné ici même (« séparer, trancher ») ainsi que le grec krinein de même sens (→ crise, critique).

Moralité : au moment critique où le château est cerné, du cran. Ripostez de derrière le créneau.

Merci de votre attention.

 

Les yeux noirs

 

Pour ne pas qu’on reconnaisse quelqu’un, il est de bon ton de lui flouter les yeux ou d’y apposer un rectangle noir. Généralement en faisant disparaître aussi son nom de famille, histoire de créer ce petit effroi supplémentaire qui fera vendre.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le coup du bandeau noir ne peut être qu’une vaste blague. Jugez plutôt :

Anonymat garanti, non ?

Certes, tous ceux-là ne sont pas d’illustres inconnus. Mais entre nous, z’auriez vraiment du mal à remettre votre voisin de palier faute de distinguer ses pupilles ?

 

Et surtout : pourquoi spécialement les yeux ? Sont-ils un marqueur de personnalité plus fiable que le front, les dents ou la cloison nasale ?

D’ailleurs, il ne viendrait à l’idée d’aucun gringo en cavale de se bander les yeux. Celui-ci préfèrera modifier son apparence par d’autres subterfuges : maquillage, postiches divers…

Pourtant, on persiste à croire qu’un visage sans regard devient une âme inhabitée, susceptible d’être squattée par tous.

Il n’est pas jusqu’au plus petit collage d’artiste qui ne perpétue le procédé.

Pourquoi zieuter son prochain à cet endroit précis ? Autrement plus fascinante est une bouche en mouvement ou une main qui soutient la parole. Sous prétexte que seuls les globes oculaires sont capables de voir, doit-on absolument suivre ceux d’autrui en ligne parallèle ?

 

Soyons pas dupes, ce truc permet aux médias qui le pratiquent non seulement d’indiquer qu’eux seuls connaissent l’identité du gus, mais qu’ils la tiennent secrète par pure déontologie.
Mériteraient des yeux au beurre noir.

Merci de votre attention.

 

Torviettes, serchons

 

Silence. Pitié pour le brave qui tente d’additionner des quarts d’heure en vue d’un total horaire qui tienne la route.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

La somme de 2h15 + 5h30 + 2h45 ne saute certes pas aux yeux.
A défaut d’une formule toute faite, deux écoles s’affrontent :

Séparer les blancs des jaunes.
Les quarts d’heure d’un côté, les heures de l’autre. L’inconvénient avec 9h90, c’est qu’il faut encore incorporer délicatement à la fin. Et par paquets de 60 sinon c’est raté.

Grimper palier par palier.
   2h15
+ 5h30
   7h45

+ 2h45
 10h30.
Les petits cumuls s’y prêtent bien. Mais s’ils tirent en longueur ? Gobez-les cul sec, sans quoi la tournée d’Aspégic est pour votre pomme.

 

Tout ça parce que les unités s’imbriquent comme des poupées russes.

Si les heures se suivent et se ressemblent, les minutes y sont limitées à 60, c’est le système sexagésimal qui veut ça. Libre à vous de repartir avec « sexagésimal » sous le bras ce jour.

Car la seconde est à la minute ce que la minute est à l’heure : une durée définie pour arranger tout le monde. Imaginez qu’1 minute équivale à 61 secondes. Ou à 1h47. Ou à une nuit de débauche.

N’escomptez donc pas, pauvres pécheurs, un résultat blanc ou noir en ajoutant de l’absolu (heure) à du relatif (quart d’heure).

 

Dans la même veine, à moins de penser H24, bon courage pour convertir des heures en journées.

Et les mois ? Font ce qu’ils veulent dans la vie, ceux-là. Un coup à 30 jours, un coup à 31, parfois deux fois de suite (pour ménager les susceptibilités d’augustes empereurs oubliés). Y’en a même à 28. Et à 29 mais seulement tous les quatre ans.

Malgré tout le mal qu’on se donne, on n’a pas prise sur le temps.

Merci de votre attention.

 

Mascara

 

Les nanas du sexe féminin s’en peinturlurent les cils depuis la nuit des temps. Il constitue à coup sûr le premier signe d’émancipation des fillettes qui font tout pour leur ressembler. Ajouté au fard à paupières, force est de constater qu’il embellit puissance 10. On se demande bien pourquoi les gars préfèrent jouer du biceps. Khôn comme un mâle.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Que masque le mascara ? Pas grand-chose pour l’espagnol, dont c’est le mot pour… masque. En anglais et en french, le cosmétique naquit mascaro (depuis 1883 chez les Grands-Bretons, vingt ans plus tard sous la plume de Colette). Auparavant, une mascarade a longtemps désigné une nouba masquée avant de devenir le simulacre que l’on sait. L’italien maschera signifiait-il pas « faux visage » dès le XIVe siècle ?

La faute au radical d’avant les langues romanes maska (« noir »). D’où maskara, « tache noire » ayant fait tache d’huile tout autour de la Méditerranée. On finit par rattacher la couleur aux spectres et autres personnages de sorcellerie, regroupés sous la bannière latine masca. Maintenant que vous le dites, rien de tel que de se noircir la caboche pour avancer masqué et avoir l’air méchant.

Ah ben oui au fait, on en oubliait le meschant du XIIe, participe présent de mescheoir (« arriver malheur », littéralement « tomber mal ») et son préfixe qui va bien pour « mal » (mésestimer, méconnaître). Même en anglais (mistake, to miss) ! Autant dire que çiloui-là, l’est passé par le Nord, où on a pu le croiser en missa- (« faux », « rater »). Auparavant, il courait partout en indo-européen déguisé en mei- (« changer », d’où muer, muter) et en mel-, dont la descendance va de malin à mélasse (via le grec mélas, « noir » ben tiens…).

Partant, du mascara sur des cils déjà noirs, permettez que je me gausse. Khôn comme une nénette. (C’est du rimmel que vous mettez ? Au temps pour moi).

 

En parlant de ça, jamais de raccord mascara qui tienne au volant, rogntûdjû ! Vous risquez juste l’accident bête et méchant. Z’aurez l’air malignes avec votre malus tiens.

Merci de votre attention.