« Faire le comparatif »

 

Une fièvre étrange nous pousse à vouloir établir un « comparatif » entre toutes choses. Parce que comparaison n’est pas raison ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ce coup-ci, au lieu d’inventer un mot, on l’a fait changer de statut, c’est plus subtil. Vérifiez, comparatif plastronne bel et bien dans tous les dicos dignes de foi. Au rayon adjectifs, les cocos. Si on devait faire un « comparatif », c’est un peu comme si ce dernier piquait son grade à comparaison, ce qui pose un problème de leadership (qui lui non plus ne perd rien pour attendre).

Au nom de quoi « comparatif » prend-il du galon ? Des « études comparatives » et des tableaux du même nom, vraisemblablement. Avouez qu’il n’en faut pas bésef pour passer d’un « tableau comparatif » au « comparatif » proprement dit. Le résultat sans la cuisine interne. Sauf que dénué de tout arrière-plan statistique, « comparatif » est en slip, comparé à comparaison.

 

Maintenant qu’on est habitué, ça n’empêche personne de faire des nuits quasi-complètes. Mais reprenons notre tableau qui, en sus d’être comparatif, a l’avantage d’être synthétique. Passerait-on de la synthèse au « synthétique » sans moufter ?

 

Riez pas. « Comparatif » suit comme son ombre « estimatif » (– tu me feras « un estimatif » ? – y’a peu de chances) et surtout récapitulatif. Qui, lui, a fait son trou, faute de concurrent sérieux (à tel point qu’on lui donne du récap dans l’intimité).
Or, si capituler donne capitulation, pourquoi récapituler ne débouche-t-il jamais sur récapitulation, qui est pourtant le terme officiel (vérifiez vérifiez) ? Toujours mieux que « capitulatif », non ? Le jour où un chef ennemi rendra les armes sous ce nom-là, l’humiliation sera totale.

Récapitulons.
« Faire le comparatif », c’est violer la langue en public. Sans contraceptif.

Merci de votre attention.

 

Comment ne pas léser Noël à Noël ?

 

Pour changer, pensons un peu à Noël. Le seul, l’unique, le vrai, cet ami proche auquel ses parents n’ont pas fait de cadeau en l’appelant comme ça ah non alors.

Vous rendez-vous compte qu’au milieu de cette dégoulinade de gentillesse, de cette frénésie illuminée, un être souffre en silence ?

 

Parce que le jour J, c’est plus la Noël que l’on célèbre que le saint du même nom. Virage de cuti ajoutant encore à l’humiliation, sans compter les jeux de mots douteux.

Pour couronner le tout, l’oiseau a trouvé le moyen de naître un 25 décembre. Autant dire qu’on ne lui chante jamais « happy birthday to you », à lui, trop occupé qu’on est à entonner l’avènement de l’autre. D’ailleurs, sur la bûche déjà surchargée, impossible de faire tenir la moindre bougie.

Quant à la distribution de paquets, pardon. Non seulement vous n’offrez pas plus de cadeaux à Noël à Noël, mais Noël est tenu de vous en souhaiter un joyeux alors que c’est sa fête et son anniversaire.

Et ainsi chaque année depuis toujours. Pas étonnant qu’il ait les boules, Noël. L’injustice n’a que trop duré.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en pote civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Pour mettre fin à son calvaire, trouvez-lui un autre blase. Privilégiez les noms peu usités du calendrier : Thècle, Zéphyrin, Crépin, Assomption… Vous pouvez être sûr que tout le monde se souviendra de sa fête.

 

♦  Décalez la bamboula d’une semaine en priant pour qu’il vous reste assez d’entrain le premier de l’an.

 

♦  Proposez à Noël d’adopter la nationalité anglaise ou allemande. Ainsi, impossible de le confondre avec Weihnacht ou Christmas.

25-decembre-2

♦  Si ça peut consoler votre ami, rappelez-lui que le père Noël répand lui aussi le bonheur autour de lui en ne demandant rien en retour. Pire, on n’est même pas sûr qu’il existe.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Plans Marshall

 

Les médias frétillent comme un seul homme à l’annonce d’un plan Marshall, notamment pour les banlieues. Bref rappel historique : George Marshall, 1880-1959, général des Stazunis dont le fameux plan permit de reconstruire l’Europe il y a une guerre de ça. Pas étonnant qu’on ne voie jamais la couleur d’aucune réplique. Notamment pour les banlieues.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Chaque fois qu’un décideur sort un plan Marshall de son galure, pouvez être sûrs qu’il ne pèse pas ses mots : c’est du figuré. Sous-entendu : aux grands maux les grands remèdes, z’allez voir ce que vous allez voir.

Sinon foutage de gueule, l’expression est du moins à prendre avec des pincettes. Comme il s’en lance à peu près un par semaine, de plan Marshall (notamment pour les banlieues), on finit par douter, c’est humain.

 

Pour éviter qu’on ne gamberge trop, il arrive qu’on nous mette du Grenelle en attendant :

il faut un Grenelle des banlieues.

Voilà qui ne mange pas de pain et qui permet de dormir sur ses deux oreilles.
L’inconvénient, c’est que c’est moins martial que Marshall – sans mauvais jeu de mots. Parce que si le nom n’en impose pas un minimum, comment pourrait-il être suivi d’effets ? Imaginez que le grand sauveur se soit appelé Engelbert Humperdinck. Ou Michel Tupperware. Ou même George Bay. Il n’aurait sans doute pas laissé la même trace dans l’Histoire.

plan-marshallToute péroraison à base de plan Marshall est donc vivement déconseillée. Y compris si vous vous appelez Marshall ; de quoi auriez-vous l’air, autoproclamé avant même d’avoir débloqué le premier kopeck ?

 

Laissons Marshall où il est : avec les asticots à Washington. Que celui qui se retrousse les manches propose un plan tout court.
Ce que la testostérone y perdra, la modestie y gagnera.

Merci de votre attention.

 

Comment figurer dans le dictionnaire ?

 

C’est bien beau de prendre de l’âge, de la bouteille, du galon, encore faut-il passer à la postérité. Si possible assez durablement pour ne pas se faire jarreter des dicos du futur. Combien de gonzes jadis illustres ont ainsi disparu des écrans radars, du jour au lendemain, sans que personne ne s’émeuve de leur absence ?

C’est dire si votre renommée est subjective. Après tout, elle ne dépend que du bon vouloir des auteurs du dictionnaire. Ce petit conclave décidera seul de vous admettre aux côtés de Gandhi, George Washington ou votre arrière-grand-tonton – si tant est qu’il ait quelque chose à voir avec le fil à couper le beurre.

A quoi tient-ce.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en ambitieux civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Au même titre que la Légion d’honneur, un fauteuil sous la Coupole ou l’organisation de la prochaine Coupe du monde, il suffit de la demander, votre place dans le saint des saints. Si vous n’avez jamais rien branlé fait de particulier pour la mériter, insistez ; copinage et fayotage sont les deux mamelles de l’ascension.

 

♦  Le meilleur moyen de figurer dans le dictionnaire, c’est encore qu’il porte votre nom. Si Pierre Larousse avait vendu des chèvres au lieu de diriger l’ouvrage qui le consacre ipso facto, l’Histoire n’aurait retenu de ses productions que leur consistance un peu craie.

 

♦  Afin de laisser une empreinte potable, évitez de vous distinguer par des voies de fait qui terniraient votre gloire (Ravachol, Landru, deux ou trois dictateurs un rien susceptibles). Veillez également à ce qu’on ne vous associe pas systématiquement à des catastrophes (Richter, Lagaffe, Nagasaki…).

ben

♦  Un peu d’humilité, quoi ! Fondez-vous dans la masse des noms communs. Vous échapperez aux fréquentations douteuses (v. ci-dessus) tout en goûtant enfin la compagnie d’essoreuse, de vermouth ou d’alfalfa. Ou même, tiens, de dictionnaire, pour peu que vous ne soyez pas trop allergique aux mises en abyme.
Poubelle a ses entrées partout ? Ne l’enviez pas, on gagne rarement sur les deux tableaux.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Coordonner/coordination

 

Selon l’humeur, celui qui coordonne est coordinateur ou coordonnateur. Dans ce cas, pourquoi est-il chargé de la coordination, jamais de la « coordonnation » et, pire encore, ne « coordine »-t-il que pouic ?

Mais revenons à nos moutons, moutins.

Faut s’y faire, avec son o embrassant la situation, il n’y a que le verbe coordonner qui vaille,

de co- et ordonner, d’après coordination,

d’après le dico.

A-hâ, coordination était là dès le début. Ses coordonnées ?

(latin) de cum et ordinatio, de ordinare → ordonner.

On utilise donc de l’« ordre » latin ordo, ordinis tantôt le o, tantôt le i pour pas faire de jaloux. Meuh c’eust extraordinaire !

Notez qu’en version originale, le mot est déjà schizophrène selon qu’il est sapé au nominatif (ordo) ou au génitif (ordinis). Cas qui, au passage, ne changent jamais la face de nos mots à nous, contrairement à ceux de nos voisins teutons. Partant, que ceux qui viennent se répandre en pleurs sur la difficulté de la langue française s’en retournent humblement chier dans leur caisse. En faisant kaï, kaï si ça leur chante.

 

Pour en revenir aux substantifs, il ne peut être question que de coordination, ainsi que le rappellent les conjonctions apprises de longue date.
Ou d’ordinateur, que contrairement à l’ordonnateur on a tout à fait le droit de jeter par la fenêtre.
Ou d’ordonnance pour le défenestré.

Quant à ordonnancement, retrouvons un peu d’ordre, voulez-vous ? Et opposons au vilain la même fin de non-recevoir qu’à réceptionner.

 

Les étymologues le gardent pour eux mais en vieux françois, ordiner a bel et bien circulé (vers 1200). Et c’est pas tout : sa variante ordener est devenue ordonner à la même époque,

sans doute sous l’influence de donner.

Mais la voilà l’explication, suffisait de la donner.

Merci de votre attention.

 

Au nom du père

 

Soyons visionnaires. On s’étrangle de moins en moins du fait que Mme Machin, lorsqu’elle épouse Tartempion, ait le choix entre garder son nom de jeune fille ou perdre son identité devenir Mme Tartempion. Dans combien de milliards d’années le fruit de leur union cessera-t-il de s’appeler automatiquement Tartempion ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 :

Toute personne majeure peut ajouter à son nom, à titre d’usage, le nom de celui de ses parents qui ne lui a pas transmis le sien.

A la naissance jusqu’à la majorité, avantage au père donc. Avant tout pour des raisons pratiques : madame étant en couche, c’est monsieur qui file le reconnaître.
Or contrairement à une idée reçue,

aucune disposition légale ne règle la transmission du nom patronymique à l’enfant légitime.

Mais depuis 2005 (une vibrisse de protozoaire à l’échelle de l’humanité),

un enfant dont la filiation est établie à l’égard de chacun des parents, peut porter :
soit le nom du père,
soit le nom de la mère,
soit les 2 noms accolés dans un ordre choisi par eux et dans la limite [du ridicule].

Une « déclaration conjointe de choix de nom » et emballé, c’est pesé. A défaut, le nom du père s’applique, si le couple s’est dit oui devant témoins. S’ils l’ont fait aux chandelles, et uniquement en cas de reconnaissance tardive du papa, c’est le blase maternel qui échoit à Junior. Qui le savait ?

Comme si une gamète mâle valait plus qu’une gamète femelle ! Dame Nature se bidonnerait dans les grandes largeurs.

 

Loin de toute revanchardise féministe, pouvoir choisir le nom du gniard relève de la logique pure.
Et républicaine de surcroît : liberté, égalité, fraternité. Les filles naissent libres et égales en droit à leur blaireau jules. Devraient-elles pas décider avec lui de leur lignée ?

 

Oui mais Dieu n’est-il pas le père de tous les hommes ? Nom de Dieu ! Voilà pourquoi les nanas du sexe féminin n’ont pas voix au chapitre !
Virons athées une fois pour toutes, et profitons-en pour changer de vocabulaire. Parce que prononcer a-thée (« sans dieu »), c’est encore raisonner en fonction d’une norme (« dieu ») qui manifestement n’existe pas hein.
Dans les grandes largeurs, vous dis-je.

Merci de votre attention.

 

Lyncher

 

Vu l’exotisme du y et la préexistence de pendaison sommaire en français, lynchage/lyncher viendraient du nom d’un lointain parent de David Lynch que les bras ne nous en tomberaient pas plus que ça.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Permettez d’abord que l’on reprécise le sens du mot. Dans Lucky Luke,

Qu’on le lynche !

équivaut davantage à

Qu’on le pende haut et court

qu’au goudron et aux plumes. Si la ferveur de la vindicte amerloque nous rappelle que lyncher signifie « laisser pour mort » sans autre forme de procès, on incline par chez nous au sens figuré :

un lynchage médiatique.

 

C’est pourtant une authentique (quoique non écrite) loi de Lynch qui dès 1835 flatte les bas instincts de la foule. Les historiens sont d’ailleurs prêts à s’entrelyncher quant au Lynch auquel on doit ces us de toc-toc. S’agit-il de William Lynch (1742-1820), capitaine de Virginie ? Ou de Charles Lynch (1736-1796), juge de Virginie lui aussi, dont les méthodes expéditives furent couvertes par la Cour suprême ?
Et qui est cette Virginie dont on se dispute les faveurs ?

Ne nous laissons pas distraire : Lynch est la version anglicisée du nom irlandais Loingseach (« marin »), prononcé Lengsha. Le vieux gaélique articule comme il peut.

 

Heureusement, les mœurs se sont apaisées. Plus question de loingseachage mais de bashing, dont aucun Mr. Bash ne peut être tenu pour responsable.

 

Puisque l’heure est au défoulement, petit jeu : parmi les noms suivants, un seul n’a pas été à l’origine incarné pour de bon. Saurez-vous trouver l’intrus ?

Bronx / montgolfière / pasteurisation / hachis Parmentier / poubelle / christianisme

Merci de votre attention.

 

Comment rappeler votre nom à quelqu’un qui ne vous remet pas ?

 

On est parfois plus célèbre qu’on ne croit. D’où cet illustre inconnu peut-il bien vous connaître ? Au point de vous tutoyer qui plus est ? Vous voulez bien être changé(e) en cochon si l’endroit où vous les auriez gardés ensemble vous revenait en mémoire.

Voilà pour l’épisode plaisant. Mais la gloire cèdera bien vite la place à l’anonymat. Ainsi, à peine tombez-vous sur cette vieille branche, cette connaissance du temps jadis, ce long lost friend dans la langue de Shakespeare, que vous décelez dans son œil qui se fige un effort désespéré pour vous remettre. Et toutes les contorsions linguistiques qui vont avec pour éviter de balancer un nom au petit bonheur la chance.

Si l’autre n’a pas plus changé que ça, vous non plus, sans fausse modestie. Du moins vous semble-t-il. Alors quoi ? La vexation le dispute à une désillusion dont l’amertume n’a d’égale que la tendresse que vous lui portiez, à çui-là/cellate.

Vous avez le choix : relativiser en songeant qu’on est bien peu de chose ou, au contraire, réparer l’oubli, histoire de cautériser un peu votre amour-propre.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en fantôme civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Lorsque vous sentez arriver le râteau à retardement (ou « râteaurdement », au risque d’un mot-valise), proposez à l’interlocuteur un blase totalement différent du vôtre. Savourez alors ses ronds de jambe, sachant que les conjectures sur votre identité iront bon train quoi qu’il arrive sitôt que vous aurez pris congé.

 

♦  Œil pour œil, dent pour dent : feignez d’avoir à votre tour son nom sur le bout de la langue.

 

♦  Des scrupules ? Tentez le coup du jumeau caché. Convaincu de n’avoir – et pour cause – aucun souvenir commun avec vous, il n’essayera même plus de vous situer, vous épargnant ainsi qu’à lui-même la comédie des retrouvailles. Une fois la méprise dissipée, libre à vous d’enchaîner sur le curriculum de votre homozygote.

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♦  Portez toujours sur vous un badge nominatif. Si vous travaillez en caisse, comme officier de police ou agent au service secret de Sa Majesté, la force de l’habitude aura raison de la gêne.

 

♦  Réunissez tout le pognon nécessaire et changez votre nom en Machin(e). Et si c’est un peu raide à porter, pourquoi pas un nom composé ? Trucmuche, Machin-chose… Ça arrangera ceux qui détestaient leur prénom et évitera bien des déceptions face à vos oublieux.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.