Développer ses photos

 

« Le message, c’est le médium », clamait McLuhan le grand. Autrement dit, la forme conditionne le fond. Pas de rock’n’roll sans électricité. Pas de frites sans friteuse.
Pas de photos sans téléphone ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

C’est parce qu’on n’est plus obligé de développer ses photos qu’on les gâche.

Du temps de l’argentique, la pellicule n’était pas extensible. Il fallait donc drôlement s’appliquer au moment de choisir son sujet pour l’immortaliser via le petit zoiseau. Les photos, rares, étaient en général réussies. On les conservait dans de gros albums de famille que l’on consultait pieusement parce qu’on ne pouvait pas faire autrement : deux genoux minimum.

Aujourd’hui, il suffit d’un téléphone pour mitrailler toute la journée si ça nous chante. Mais ce sont des photos creuses, interchangeables. Elles ne sont plus précieuses. Il ne nous viendrait pas à l’idée de les appeler « clichés », d’ailleurs. Vingt contre un que ce mot s’éteindra dans le siècle.

 

A cet égard, le verbe développer prend tout son sens. Emmener ses photos à « développer », c’est comme confier ses chrysalides à un professionnel pour les retrouver papillons.

Etymologiquement, photographier, c’est « écrire avec la lumière ». Les bonnes photos ont même droit à une légende, « ce qui mérite d’être lu ». Or, cette notion d’écriture disparaît. La preuve, on ne les regarde plus sur papier. Les écrivains de lumière n’ont même plus à se soucier de focale ou d’effets, désormais intégrés. Sentez la noblesse perdue ?

 

Aujourd’hui, tout le monde photographie tout, tout le temps. Ça nous prend comme une envie de pisser, notamment le selfie, posté dans la seconde à l’attention de la planète comme si notre vie en dépendait. Plutôt élargi, le cercle, à défaut d’être concerné.

Au lieu de nous souvenir de la scène, notre premier réflexe est de la stocker. On aurait tort de se gêner, le stockage est infini (« le message, c’est le médium »). Résultat : on découvre avec effarement des photos vieilles de trois mois qu’on avait oubliées sitôt prises. Ou plutôt qu’on n’avait gardées que dans la mémoire de l’appareil.

 

Avec un temps d’attente de plusieurs jours et en nombre limité par tête de pipe, nos photos redeviendraient moins banales. Automatiquement.

Merci de votre attention.