Comment dire ?

 

Les journalistes d’investigation à qui on ne la fait pas – comment dire ? – font parfois semblant d’hésiter dans leur commentaire :

une explication – comment dire ? – plutôt embarrassée.

Le procédé, à la longue, est – comment dire ? – un rien gonflant.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le journaleux, lui, est – comment dire ? – tout fiérot de se mettre ainsi en scène. Ça lui permet – comment dire ? – de se ménager un suspense pour mieux coller au ton de la confidence, où chaque mot est pesé pour faire sentir que – comment dire ? – c’est du lourd. Sans compter l’occasion, une fois n’est pas coutume, de laisser sa neutralité au placard.

 

Mais (il faut bien que quelqu’un lui dise) « comment dire ? » établit – comment dire ? – une fausse connivence. Le journaleux sait très bien « comment dire » puisque la suite de sa phrase est déjà écrite. Peu nous chaut de savoir combien de fois il aura tourné sa langue dans sa bouche avant de cracher sa pastille.
Sous couvert de « nous on sait, et on ne vous prend pas pour des billes », c’est – comment dire ? – le contraire qui se passe.

 

Ce petit effet est aussi censé – comment dire ? – appuyer le propos. Là encore, c’est – comment dire ? – raté. Si le journaleux conclut sa formule par un mot édulcoré, il ne dit pas tout à fait ce qu’il pense.
Si bien qu’en réalité, « comment dire » est un excellent moyen de ne pas le dire, sans le dire.

 

On avait déjà l’habitude d’arrondir les angles avec « disons ». Même degré de diplomatie dans « pourrait-on dire », bientôt suivi d’« on va dire » (qui ne veut rien dire s’il n’est pas antéposé).

« Comment dire ? » passe à la vitesse supérieure ; on pourrait presque ajouter « pour ne froisser personne tout en montrant qu’on n’en pense pas moins ». Mais ça, – comment dire ? – on ne peut pas le dire.

 

Détenteurs de carte de presse, à quoi sert-ce de découvrir des pots aux roses si c’est pour tout gâcher par des « comment dire » ?

Merci de votre attention.

 

Comment raccrocher au nez d’un institut de sondage ?

 

Comme si les instituts de sondage avaient un nez. Et pourquoi pas du flair, hein ? ’Tendez un peu avant de rigoler, la principale absurdité arrive de suite.

Jugez plutôt : alors que vous avez toujours pris soin de ne figurer dans aucun annuaire (car « ne jamais parler à un inconnu » était la consigne), qu’il vous semblait par ailleurs avoir coché toutes les options de confidentialité censées tuer dans l’œuf toute tentative de démarchage, un institut trouve le moyen de vous déranger, à midi deux, pour s’enquérir de ce que vous regardez à la télévision, quel type de lave-linge vous chérissez ou pour quel candidat vous iriez voter dans trois piges si toutefois il se présentait.

Si la chose ne s’est jamais produite, c’est que votre bonne étoile deviendra bientôt supernova tant elle darde. Il se peut aussi que vous n’ayez pas le téléphone (ce qui vous épargne d’autres khouillonnades intempestives, mesurez bien votre chance).

 

Vous faites donc partie de l’« échantillon représentatif ». Gigantesque morceau de flan qu’il était grand temps d’attaquer par la face nord : nous y voilà.

Le concept part du principe que puisque vous avez tel âge, tel appareil génital, tel lieu de résidence et que vous exercez telle profession, votre parole et celle du millier de péquins interrogés vaudra au nom de tous les compatriotes (étant donné que « ne jamais généraliser » était la consigne, vous ne savez plus à quel saint vous vouer, vouais).
Péquins dont on comparera d’ailleurs l’avis à celui de mille autres plus tard (mais toujours en parlant des mêmes « français » hein) en vue de savants graphiques sur l’« évolution de l’opinion ».

S’est-on jamais autant poilé, entre nous ?

sondage

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en entubé sondé civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  A peine prononcé le nom de l’institut, friture sur la ligne. AlloaaaahjenevousentendsplusdésolééééééHOP !

 

♦  Si les scrupules vous assaillent, jouez franc jeu. Lorsque le sondeur vous demande avec une politesse surette si vous auriez quelques instants à lui accorder, répondez par la négative car la cuisson du risotto ou de la polenta ne souffre aucun dérangement.
Méfiez-vous : si l’autre est teigneux, il tentera d’embrayer sur vos marques préférées.

 

♦  Faites remarquer à votre interlocuteur qu’au petit jeu du « pas du tout satisfait/un peu satisfait/plutôt satisfait/très satisfait » vous excelliez déjà avec des marguerites mais que ça vous est passé.

 

♦  Comme dorénavant on ne vous la fait plus, objectez que l’échantillon vous semble trop réduit pour un sondage politique et suggérez une consultation à plus grande échelle, et pourquoi pas à taille réelle.
Quoique crotte : ça existe déjà. Des « élections », ça s’appelle.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Vent

 

Non seulement le vent démarre toujours de quelque part (jamais pile à l’endroit où vous êtes), mais il « souffle », sans quoi il n’existe pas à proprement parler. Et soi-disant il suffirait de s’humecter l’index pour sentir d’où vient l’animal : balivernes.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Et plus précisément au radical indo-européen we- (« souffler », tout à l’imitation), dont on retrouve la trace la plus patente chez les Zanglais (wind) et en latin (ventus).
Résultat : on croise le vent dès 1050 dans son orthographe de tous les jours, même si l’un ou l’autre « venz » ou « vens » fait encore mine de se lever à l’horizon.

Les zaïeux mettent ensuite au point toutes sortes de tournures épatantes, pour la plupart tirées du jargon marin : « héberger au vent » (loger à la belle étoile), « avoir le vent en main » (être à même de choisir), « avoir le vent contraire » (connaître l’infortune), « être au-dessus du vent » (être en bonne situation), « cueillir vent » (reprendre haleine) et le délicieux « donner vent à une bouteille trop pleine » (la vider un peu)…
Seuls « avoir vent de » (1461), « avoir le vent en poupe » (1492) et « vent debout » (1718) ont survécu, cette dernière ayant un prodigieux pouvoir d’agacement lorsque les journaleux l’appliquent à la première bande de contestataires venue.
Sans oublier « être dans le vent » qu’on vit fleurir dès 1964 à propos de quatre garçons, zanglais eux aussi…

 

Autant d’expressions colorées qui ne sauraient faire oublier le vent en tant que « gaz intestinal » (1680, et depuis que le pet est pet d’ailleurs). C’est tout à fait exagéré. Tout juste le vent transporte-t-il l’odieux méfait vers vos narines ébahies. Voyez bien que sous prétexte de volatilité, nous accablons ce pauvre zéph de tous les maux.
Il faut dire que, par analogie déjà, le latin entendait par ventus aussi bien « flatulences » et « opinions » (hop, mettons-les dans le même sac) que « bonne » ou « mauvaise fortune ». Toutes choses insaisissables par définition.

 

Rendons enfin un vibrant hommage à la manche à air, ce grand escogriffe de toile se déployant aux quatre vents pour en mesurer la vitesse. Ç’a quand même une autre gueule qu’un doigt mouillé.

Merci de votre attention.