C’est parce qu’elle est à la croisée des invasions chemins que notre langue se paye le luxe d’autant de synonymes. Résultat : on ne sait même plus s’il faut suspecter les étrangers ou seulement les soupçonner.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Le grand-breton, lui, n’a pas le choix des armes :
I suspect there is something unusual,
qu’on traduirait par
je soupçonne quelque chose d’inhabituel.
On soupçonne donc quelque chose tandis qu’on suspecte un suspect ? Ça paraît un soupçon suspect, dit comme ça.
En vérité, aucun des deux ne semble prendre le pas sur l’autre. Conditionnés en substantifs, idem : soupçon = suspicion. Et quand on en vient aux adjectifs, suspicieux regarde toujours soupçonneux en chien de faïence.
Même les dicos peinent à convaincre :
Très souvent, les deux mots sont pris l’un pour l’autre. Mais uniquement lorsqu’on soupçonne (ou suspecte) [c’est malin ! NDLR] quelqu’un d’une faute ou d’un crime. Quand l’objet du soupçon n’a rien de peccamineux, on dit toujours soupçonner :
Je soupçonne (et non je suspecte) Paul d’aimer Jeanne en secret.
Ah, ‘scusez. Et si le Paulo est marié ? Peccamineux ou pas peccamineux ? [Notez l’effort de réhabilitation du trop rare peccamineux, NDLR].
Savez quoi ? Va falloir les départager à l’étymo.
Soupçon naît « sospeçon » au féminin. Vous soupçonnez déjà que cette sospeçon est une version mal dégrossie de suspicion, copie conforme de la suspectio latine inférée de suspicere, littéralement sub–specere, « regarder de bas en haut ».
On n’est pas sorti du sable. Est-ce à dire que suspecter serait « regarder de haut en bas » ? En quelque sorte puisque, regardez par ici, suspectare n’est autre que le fréquentatif de suspicere.
Suspecter et soupçonner sont donc plus que synonymes : ils sont siamois.
On le suspicionnait depuis le début.
Merci de votre attention.