« Déchirer sa race »

 

Il n’est pas rare que le pékin moyen partage son enthousiasme en ces termes :

ça déchire sa race.

A condition de réellement kiffer sa race, sans quoi « ça déchire » suffit amplement.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Deux notions plus absurdes l’une que l’autre, juxtaposées pour défier toute vraisemblance : « déchirer sa race » est un tour de force.

 

Péter, tout arracher et s’éclater avaient précédé déchirer au rayon forte impression, section déformation.

Mais le verbe était en dessous de la vérité. On lui a donc adjoint le concept de race qui, si l’on ne zigouillait encore en son nom, mériterait de souiller la culotte de son voisin de couleur.

Et là, on parle uniquement d’êtres humains.

Car « déchirer sa race » ne s’emploie que pour des objets ou des œuvres. A quelle race ceux-ci peuvent-ils bien appartenir ?

 

Foin de dithyrambes, nous revient en mémoire le fielleux

va niquer ta race,

sous-entendu

tous ceux de ta race.

Dans l’expression du jour au contraire, l’objet admiré ne peut « déchirer sa race » que dans sa globalité. Vous pouvez commencer à vous représenter mentalement une « race déchirée ». La journée ne sera pas de trop.

 

Faut-il y voir une variante de l’omniprésente figure maternelle (« la vie/tête de ma mère ») ?

Moins rugueux que

va niquer ta mère,

« va niquer ta race » diluerait le lien de parenté juste ce qu’il faut. Idem pour

ça déchire sa mère,

qu’hors césarienne on ne recommande pas plus que ça.

 

Ce désir infantile que tout le monde éprouve la même chose que nous explique nos jugements de valeur excessifs. Ainsi surjoués, ils donneraient plutôt envie d’écarteler le genre humain.

Merci de votre attention.

 

Prénom non

 

Plus on aime quelqu’un, plus on incline à l’appeler par son petit nom, à savoir son prénom. Voilà encore une idée reçue qui mérite d’être balayée avec force boââh.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On a déjà évoqué nos rapports tendres avec les tyrans lointains. A l’inverse, nous désignons les ceusses dignes d’admiration comme un caporal-chef ses troufions.

Les peintres illustrent comme personne ce paradoxe. Kandinsky, Watteau, Turner, Picasso, Soutine, les deux gars Manet et Monet (toujours confondus, c’est malin)…
La postérité ne retient du maître que son patronyme, qui déteint sur ses œuvres : un Rembrandt, un Boticelli. S’il y a des exceptions (Léonard, Vinci n’étant que le nom du bled), elles confirment la règle : qui se souvient du prénom de Vermeer ?

D’ailleurs Van Gogh signait Vincent. Résultat, il a fini avec un tournesol au plafond.

 

En sport, idem. Quand les joueurs se distribuent le ballon, le commentaire ne cite jamais leur prénom, par lequel pourtant tout le monde se hèle sur le terrain. S’il y a des exceptions (Zizou, qui n’en fait qu’à sa tête), elles confirment la règle : aucun footeux ne se souvient du prénom de Vermeer.

Imaginez que vous soyez sur la pelouse. Ne vous paraîtrait-ce pas étrange qu’on omette la moitié de votre état civil ?

 

Et n’allez pas croire que toutes les têtes connues soient à la même enseigne. Ou on adore Johnny, ou on déteste Hallyday (ce qui ne se dit pas).
En journalisme, la règle est simple : Jacques Chirac, neutralité oblige. Retirez une moitié de blase pour que la familiarité s’impose comme la lumière dans la pièce.

 

Enfin, pensons aux proches et aux descendants (sans parler des homonymes) pour qui « se faire un prénom » est une question de vie ou de mort.
Pour une Geraldine Chaplin ou un Alexandre Dumas fils (lequel dut tuer le père deux fois, le bougre), combien de Kevin van Beethoven, de Robert Einstein, de Chantal Gandhi et de Marcel Velazquez tombés dans l’oubli ?

Merci de votre attention.