Dans quoi graver vos noms ?

 

Graver votre initiale et celle de l’être cher dans un cœur traversé par une flèche sur une écorce est un exercice un peu vain. Qui draine par-dessus le marché un lot de contraintes considérable.

Primo, ça fait un mal de chien à l’arbre. Votre amour de la nature ne fait pas bon ménage avec l’autre.

Deuxio, c’est une corvée physique, dont les filles du sexe féminin et les couples lesbiens sont exclus d’office, sauf à convaincre un tiers suffisamment charpenté de faire le boulot.

Tertio, l’inscription doit résister au temps. Arbrisseaux chétifs et souches flapies s’abstenir. Même dans la force de l’âge, il est impératif que l’arbre ait un minimum de tenue. Immortaliser l’idylle sur un bonsaï la briserait de facto.

L’équipement, enfin. N’attaquez pas le tronc au couteau suisse, vous ne parviendriez qu’à le péter en même temps que vos propres phalanges. Votre futur lieu de pèlerinage requiert une lame grand modèle capable d’entailler sans résistance. Encombrement à son comble au moment de conter fleurette.

Donc, pas d’arbre ; au train où va la déforestation, ce serait vraiment chercher des poux à la planète.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en tourtereau civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Le tatouage. Un choix qui vous engage tous les deux. Car si votre initiale à vous ne risque pas d’évoluer, il n’en va pas forcément de même pour votre partenaire. Chez le tatoueur, faites libeller la parade comme suit : « A mon petit pingouin pour la vie ». Chacun sera libre de refaire la sienne comme bon lui semble.

 

♦  Plus romantique, la plage. La marée aura raison du dessin dans le sable mouillé ? Qu’à cela ne tienne, éloignez-vous de quelques mètres à l’intérieur des terres. Pas trop quand même parce que la postérité sur sable sec, vous n’avez pas fini de vous accroupir. En signe de représailles, vous pourrez toujours scarifier une méduse.

 

♦  Dites-le par montgolfière. Si toutefois les incisions maousse pratiquées dans la toile ne compromettent pas l’entreprise ; plus dure serait le flebeleb [chute retentissante].

 

♦  Vérifiez vos passeports, direction Hollywood Boulevard. Jouez-y les Cupidon dans le ciment frais, à l’instar des stars*. Ça vaut bien le métal d’une alliance.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez (c’est le cas de dire).

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* A. Delon, pour ne pas le nommer

Prénom non

 

Plus on aime quelqu’un, plus on incline à l’appeler par son petit nom, à savoir son prénom. Voilà encore une idée reçue qui mérite d’être balayée avec force boââh.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

On a déjà évoqué nos rapports tendres avec les tyrans lointains. A l’inverse, nous désignons les ceusses dignes d’admiration comme un caporal-chef ses troufions.

Les peintres illustrent comme personne ce paradoxe. Kandinsky, Watteau, Turner, Picasso, Soutine, les deux gars Manet et Monet (toujours confondus, c’est malin)…
La postérité ne retient du maître que son patronyme, qui déteint sur ses œuvres : un Rembrandt, un Boticelli. S’il y a des exceptions (Léonard, Vinci n’étant que le nom du bled), elles confirment la règle : qui se souvient du prénom de Vermeer ?

D’ailleurs Van Gogh signait Vincent. Résultat, il a fini avec un tournesol au plafond.

 

En sport, idem. Quand les joueurs se distribuent le ballon, le commentaire ne cite jamais leur prénom, par lequel pourtant tout le monde se hèle sur le terrain. S’il y a des exceptions (Zizou, qui n’en fait qu’à sa tête), elles confirment la règle : aucun footeux ne se souvient du prénom de Vermeer.

Imaginez que vous soyez sur la pelouse. Ne vous paraîtrait-ce pas étrange qu’on omette la moitié de votre état civil ?

 

Et n’allez pas croire que toutes les têtes connues soient à la même enseigne. Ou on adore Johnny, ou on déteste Hallyday (ce qui ne se dit pas).
En journalisme, la règle est simple : Jacques Chirac, neutralité oblige. Retirez une moitié de blase pour que la familiarité s’impose comme la lumière dans la pièce.

 

Enfin, pensons aux proches et aux descendants (sans parler des homonymes) pour qui « se faire un prénom » est une question de vie ou de mort.
Pour une Geraldine Chaplin ou un Alexandre Dumas fils (lequel dut tuer le père deux fois, le bougre), combien de Kevin van Beethoven, de Robert Einstein, de Chantal Gandhi et de Marcel Velazquez tombés dans l’oubli ?

Merci de votre attention.

 

Les despotes sont nos potes

 

Guettez bien. Chaque fois que l’ONU fait les gros yeux à tel ou tel tyran du Moyen-Orient mettant son pays à feu et à sang, on se met illico à l’appeler par son petit nom : qui Bachar, qui Saddam

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Certes, trois fois certes, les types en question sont de gros affreux qui méritent qu’on se réfère à eux comme au mal absolu. Personnages inhumains pour tout dire, que la disparition du patronyme met à distance respectable de nous. Et identifiables d’emblée dans le grand scénar de l’actu. Mais quoi, c’est un peu comme si on les appelait Gargamel, non ?
« On », c’est les journaleux, vous aurez reconnu. Mais pas que.

En scrutant les autochtones au faîte de l’oppression, hurler leur rage face aux caméras zoccidentales, on parvient, sous la traduction, à discerner cette troublante familiarité en VO. Viendrait-ce pas d’une particularité géographique ?
Pas de vouvoiement dans cette région du monde, en effet. Ça n’explique pas bézef le caractère facultatif du nom de famille. Encore moins pourquoi nous reprenons la chose à notre compte de ce côté de la Méditerranée et jusque dans le discours de l’administration Barack ou George Deubeuliou auparavant.

Et Charlemagne ? Et Napoléon ? Quid d’Elizabeth ? On peut parler, nous, avec nos monarques ! Méchants (Ivan le Terrible), gentils (Louis XV le Bien-Aimé), tous à la même enseigne : la gloire tient dans le prénom, puisque le pouvoir est de droit divin.
Justement, l’est un peu derrière nous, ce temps-là. En quel honneur mettrait-on sur un piédestal des « guides » qui ont le « suprême » d’une pintade ratatinée, vu le joug subi par ceux d’en dessous ?

D’ailleurs, ç’a commencé quand, cette histoire ? Pas du temps d’Arafat, en tout cas. On n’a pas souvenir que le moindre envoyé spécial lui ait donné du Yasser et pourtant le drôle faisait bougrement partie des meubles. D’ailleurs, nombre d’entre vous ont longtemps cru que son véritable blase, au Yassé, était Rarafat (je le sais).
babar

Allez, vivement l’Eté arabe, qu’on oublie jusqu’au prénom de ces encombrants.

Merci de votre attention.