Lireattentivementlanotice

 

Une pub ne pouvant dépasser vingt-cinq secondes (plutôt mourir), celles pour les médicaments ont tendance à s’emballer vers la fin. Les contre-indications y fusent pourtoutfairetenirdansletempsimparti. L’urgence sanitaire dans toute sa splendeur.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ayons déjà une pensée pour la voix off et l’équipe chargée de la ranimer à l’issue de l’exercice. Elle a fort à faire :

Naguère encore, on se contentait d’une ou deux mises en garde bonhommes, du style « demandez conseil à votre pharmacien » :

Aujourd’hui, plus moyen d’échapper à l’intégralité de la notice. Et plus c’est écrit petit, plus c’est lu vite. Les autres sabirs ne sont pas épargnés :

Mieux vaut ne pas avoir mal à la tête, sinon c’est pire.

Certains spots poussent le vice jusqu’à faire défiler en plus un bandeau saturé de précautions d’emploi, pour un résultat encore plus effroyable.

 

Si vous ne faisiez pas n’importe quoi avec les médocs, aussi ! C’est pour se couvrir vous que le législateur et les labos font n’importe quoi avec le message obligent les pubs à annoncer in extenso la couleur. Et tant pis si c’est imbitable.

Croyez vraiment qu’on assimile toute la posologie à une telle berzingue ?

Du même tonneau, les incitations à se couvrir parce qu’il fait froid ou à bien se moucher en cas de grippe. Sans blague. Et à mettre un pied devant l’autre pour marcher, non ? Sait-on jamais, des piétons zimprudents pourraient se retourner contre l’Etat.

 

Riez pas, le mal s’étend partout : prêt bancaire, dernier modèle de bagnole… L’astérisque à Mach 2 pullule. D’ici peu, les affiches de spectacles mentionneront la date de naissance des artistes, celle du début des répétitions et celle du désamiantage de la salle. Entoutpetitpournesurtoutpasgênerlalecture.

Merci de votre attention.

 

Couard

 

Soyons honnêtes, le charme de couard est avant tout phonétique. Les synonymes sont au même tarif : veule, pleutre, pusillanime… Seules poule mouillée et couille molle échappent à cette règle. Pour qu’on ne les accable pas davantage sans doute.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Les plus observateurs relèveront que couarde est pour ainsi dire inusité. Si les filles du sexe féminin ont, de fait, moins froid aux yeux que leurs congénères, comment leur balancer des [kwaʁd] à tire-larigot ? Heureusement, il nous reste [kwaʁdiz].

 

En parlant de ça, vous doutiez-vous que couard cachait une histoire de queue ? ‘Tention, c’est pas ce que vous croyez.

Coue, cüe et cöe, versions d’essai de notre queue, ont poussé sur le latin coda, bien connue des musicos pour indiquer la fin d’un morceau, variante de cauda, bien connue des pêcheurs et poissonniers manipulant la nageoire caudale de la bête.

Un suffixe péjoratif pour emballer le tout et en voilà un « qui porte la queue basse », signe de soumission s’il en est.

Les premiers dicos l’écrivent d’ailleurs quouard tout en mentionnant qu’

on escrit coüard.

Faudrait savoir. Quels couards, ces zacadémiciens.

Coi c’il en soit, le petit chéri s’exporte bien : les Espagnols ont leur cobarde quand les Anglais y vont de leur coward. Se faisant d’autant moins prier que queue existe aussi chez eux, si elle est leu leu.

 

En cherchant bien dans le registre littéraire, on peut aussi dénicher couardement et couarder. Puisque tout est permis, proposons dans la même veine couarderaie, couardissimo, quetzalcouard et recouard (couard devenu courageux avant de replonger).
Couard est si lâche qu’on peut le triturer sans crainte.

Merci de votre attention.

 

Epouvantail

 

Tout se perd, même les épouvantails. Heureusement, ça nous donne l’occase de réviser le pluriel, avant d’entrer dans les détaux.

Mais revenons à nos corbeaux, moutons.

Voilà un gonze dont même la phonétique sent le bric et le broc. Rendez-vous compte du pouvoir de dissuasion : un piquet, accoutré été comme hiver de la même redingote miteuse et d’un chapeau trop grand, tout seul pour épouvanter un hectare !

C’est de famille : l’épouvante est unique à des lieues à la ronde. Des émotions avec une finale pareille, pouvez chercher, y’en a pas cinquante. D’ailleurs la supériorité de l’appellation « film d‘épouvante » sur « film d’horreur » n’est plus à démontrer. Ou alors c’est l’horreur.

 

Mais a-t-on jamais pris la peine de lui inspecter les boyaux, à l’épouvante ? E-pouvanter, de prime abord, ça doit revenir grosso modo à faire sortir de nous tout le « pouvant », non ? Ce qui en soi paraît déjà bien épouvantable.

 

On s’en serait douté, l’espavente ou espouvante du XVIe siècle n’est que le déverbal des premières formes d’épouvanter. Zieutez bien la forme primitive avec -a.
Il suffisait à espoënter de se pointer à l’orée du XIIe siècle pour qu’apparaisse l’espoëntaus qui nous occupe. A blâmer, le latin expaventare, vulgaire copie d’expavere : « craindre, redouter ». Ex- n’est là – vous l’aurez compris – que pour renforcer – vous l’aurez reconnu – pavere dont sont issus le rital spaventare et le vieil espagnol aspaventar.

Et d’où croyez-vous que nous ayons peur ? Pavere, toujours lui, « trembler de pavor/poür/pëor » selon le prototype. Mais aussi « être frappé par l’émotion ». Le grand frère pavire signifiant « battre » à cause de l’indo-européen peu- (« frapper »), nul besoin d’écrire des pavés sur le pavimentum, cette « aire en cailloutage et en terre battue ».

 

Quant à l’épouvantail, il se montre « inaccessible à la peur » parce qu’il est impavide mais surtout parce qu’il est en paille. Et dieu sait qu’il pourrait avoir les foins.

Merci de votre attention.

 

Ombrage

 

Comme son nom l’indique, un endroit ombragé baigne dans l’ombre. Un loustic ombrageux, lui, baigne dans la parano ; il monte sur ses grands chevaux pour un oui pour un non voire se cabre lui-même, bref, prend ombrage de tout. On ne recherche pas l’ombre auprès d’un ombrageux.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ombrage au sens propre : ce qui couvre d’ombre. Voyez le topo : au figuré, l’humeur noire n’est jamais loin. Puisque tout ça naît dans l’ombre, plongeons-y toutes affaires cessantes.

Diminution plus ou moins importante de l’intensité lumineuse dans une zone soustraite au rayonnement direct par l’interposition d’une masse opaque.

Académicien : un boulot à plein temps.

Les simagrées en moinsse, ce qui est à l’ombre est « à l’abri du soleil » depuis le Xe siècle (umbre). C’est au XVIe que le genre du mot se fixe au féminin, époque vers laquelle « porter ombre » préfigure notre « porter ombrage » d’ailleurs.

 

Umbre donc, à cause d’umbra, arrivé au latin par l’indo-européen unksra. Que d’aucuns n’hésitent pas à rapprocher (mais d’ici on voit pas bien) de l’ombre des Zanglais shade, shadow (skot- à l’origine).

 

Quant à sombre, il végète littéralement dans la sous-ombre (bas latin subumbrare, « couvrir d’ombre »).

 

Notons enfin qu’au lieu du verbe ombrager, on a bien failli hériter d’ombroyer et de ses nombreuses variantes :

onbroier, ombroier, ombrier, ombriier, umbroier, umbroyer, humbroier, ombrier, hombrier, umbrier, humbrier, unbrier, ombraier, ombrayer…

Embrayons.

Dernière minute : contrairement à ce qu’on pensait, l’ombromanie n’est pas une maladie de peau ni une quelconque déviance mais l’autre nom du maniement délicat des ombres chinoises. Ombromanes, à vos postes.

Merci de votre attention.

 

Vertige

 

S’il s’en trouve parmi vous pour préférer à Vertigo le titre en VF Sueurs froides, une milice hitchcockienne va venir vous pendre par les nougats en surplomb d’un à-pic, histoire de vous rappeler ce que vertige veut dire.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Encore que qui dit vertigineux ne dit pas toujours ascensionnel : tournis, troubles de l’oreille interne, verre de trop, khônnerie insondable, oh-oh-veertânge-de-l’âmour, tout est bon pour donner le vertige.

Cramponnons-nous aux parapet, bastingage et assimilés. Et dominons le vertige, pour une fois.
Qu’observe-t-on ?
Qu’il est cul et chemise avec vertical, tiens oui ! Tandis que celui souffrant de horizontige n’est pas encore né. Ou alors c’était plus qu’un verre de trop, tout à l’heure.

 

Dès 1611, le mot désigne un « étourdissement passager où l’on croit voir les objets tourner autour de soi », puis en 1782 l’« impression de chute au-dessus du vide » responsable des sueurs froides citées plus… haut.

Believe it or not, l’angliche n’a pas changé une lettre au latin vertigo, « mouvement de rotation » (d’où « étourdissement »). Conséquence logique du verbe vertere (« tourner »), père d’une famille nombreuse et, disons-le, d’une smala insoupçonnable de prime abord : vers, inverser, renverser, converser, traverserbouleverser (exact équivalent de tournebouler donc) mais aussi vertèbre, intervertir, avertir (« tourner vers »), convertir (« tourner complètement »), divertir (« détourner ») et, plus rosse, pervertir et subvertir (« retourner »).

 

Pour faire le tour complet de la question, la clique à vertige ne serait rien sans l’indo-européen commun wert-, qui vaut au chleu son « devenir » (werden).
Ach, peut-on jamais prévoir comment les choses vont « tourner » ?

Merci de votre attention.