Le tube de l’été

 

Si vous avez pensé crème solaire, votre innocence vous honore. Parce qu’à chaque solstice, c’est la même limonade : le tube de l’été retentit ad nauseam. Aucun souvenir de celui de l’an dernier ? Vous le faites exprès, c’était le même que les quinze étés précédents.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le tube de l’été est calibré pour plaire au plus grand nombre. C’est-à-dire à personne en particulier. Bien pour ça qu’il s’auto-légitime « incontournable » : impossible de passer à côté, littéralement.

Le tube. Comme s’il n’y en avait qu’un, déjà. Que tout le monde reprendrait en chœur et en schlappas, à la faveur de la mollesse moite – ou de la moiteur molle – des mois chauds. La moutonnerie à son maxi.

De l’été. Comme si les autres saisons étaient pauvres en tubes. Il est vrai qu’on ne parle jamais du « tube de l’automne ». Encore moins de celui des premières neiges. Ce qui signifie que le reste de l’année, les tubes pleuvent. C’est bien simple, on ne sait plus où donner de la tête. Heureusement, en été, on décide pour nous.

 

Voyez le peu de cas que l’on fait du vacancier standard. Est-ce à dire que le farniente en ferait un décérébré ? Pas s’il l’est déjà.

D’ailleurs, il n’est de tube de l’été qui ne se danse. Non chorégraphié, c’est le bide assuré. Modèle estival, celui qui carbure à la bière.

 

Musicalement, l’intérêt du tube de l’été avoisine celui d’une sonnerie de téléphone dans un ascenseur pour chiens. Outre la chose, c’est le mot lui-même qui donne des boutons. Et toute résistance est suspecte puisqu’il est établi que « ça va faire un carton sur les plages ».

On peut préférer la montagne.
Et se curer les oreilles au son de tubes intemporels.

Merci de votre attention.

Comment affronter des commissures pâteuses ?

 

Au XXIe siècle, vous ne concevez pas que la chose soit encore possible. Encore moins que les victimes ne s’aperçoivent de rien. L’apparition soudaine de barbillons blancs aux coins des lèvres trop bavardes est un mal redoutable qui ronge la société tout entière.
La salive seule, même sécrétée à haute dose, reste à l’état liquide. De quoi est alors constituée cette viscosité mystérieuse ?

On vous le ressasse depuis Aristote, la nature a horreur du vide. Y aurait-il un lien de cause à effet entre formation de matière non identifiée et vacuité du discours ? La science reste coite.

eprouvette

Elle ferait bien de se remuer un peu le train, parce qu’en attendant, les deux gorgones ont bel et bien colonisé les commissures d’en face. Et partent maintenant bille en tête vous hypnotiser. Coaguleront-elles en une seule, obstruant intégralement le clapet avant la fin du speech ? Vous vous évanouiriez avant. Et personne pour vous faire le bouche-à-bouche (surtout pas votre bourreau).

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en interlocuteur civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Persuadez la personne de porter un foulard, châle, masque de chirurgien, heaume, casque de moto ou tout autre voile intégral apte à rendre le spectacle supportable tout en laissant passer les sons.

 

♦  Faut pas rêver, un simple verre d’eau ne suffira pas à étancher sa soif de paroles. Emportée par sa logorrhée, elle ne se ménagera pas la moindre pause pour s’humecter le gosier. Discrètement, munissez-vous d’un jet d’eau et aspergez à fond en visant bien dans les coins.

 

♦  Bien que vous ayez ostensiblement mieux à faire, aucune protestation ne vous soustraira au drôle. Feignez l’extinction de voix ; la pitié l’incitera à aller voir ailleurs, au moins temporairement.

 

♦  Le papoteur est totalement inconscient du drame qui se joue – littéralement – sous son nez. Tendez-lui un miroir : il courra au lavabo le plus proche se rafraîchir les idées.

 

♦  Déléguez l’écoute à votre toutou, qui fera aussitôt la fête à son homologue baveur à la langue bien pendue. Sans jamais l’interrompre (sauf pour la promenade).

 

♦  Engagez un dompteur de gorgones qui les matera au cri de « coucouche panier ».

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Merci

 

Levons d’emblée un vieux malentendu : lorsque Roy Orbison lance d’autorité son « mercy » en plein Pretty Woman, il n’est nullement en train de nous remercier (vu qu’il lui reste une bonne minute de riff). C’est la pitié, ou la grâce de Julia Roberts, qu’il réclame (tellement elle est bien roulée elle en a pour deux).

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Vous pouvez déjà dire merci pour ce préambule qui vous sauve d’une longue et rébarbative étymo. Car à force d’user notre salive en politesses, nous en oublions le genre féminin de merci, à l’origine synonyme de miséricorde – que les Zanglais sans mercy nous pillèrent as usual. Etre « à la merci » (ou « at the mercy ») de quelqu’un, c’est être sous sa coupe : un pet de travers et c’en est fini de nous.
« Mercit » apparaît dans ce sens en 881 (repérez bien ce t). Quelques décennies plus tard, on s’adresse « granz merciz » pour exprimer cette fois sa gratitude (repérez bien ce z).

D’où merci a-t-il (elle) dérivé ?

Du latin mercedem (t, z, c’est papa qu’est là !), accusatif de merces, « salaire, solde, récompense, intérêt » puis « prix, faveur, grâce accordée à quelqu’un ». Et bientôt – la nature humaine étant ce qu’elle est – « prix d’un service illégitime ou honteux ». Et pan ! Les mercenaires rappliquent. Sans oublier marché, commerce et tout le bataclan (merx, mercis : « marchandise »). On connaît la suite : Mercure, dieu des affaires, mercredi, premier jour des soldes. Et Merckx vainqueur du grand prix de la montagne.

Sans oublier le verbe merere, « gagner un salaire ». De là à le mériter, hein… Les linguistes les plus acharnés y voient le radical indo-européen (s)mer-, « se souvenir, se soucier de ». Lequel, en se superposant à lui-même (car il est très souple), donne memor… D’ailleurs, celui qui « remembers » un cher défunt le « pleure » (to mourn, passé par notre morne à nous du temps que ça voulait dire « abattu »).
On peut aller loin, comme ça !

Afin donc d’éviter de tout se retaper à pied, Marie pleine de grâce se propose de raccompagner tout le monde en Mercedes.

Merci de votre attention.