Ad libitum

 

Faute de pouvoir traduire ad libitum par un synonyme 100% sûr, le français moyen en est réduit à chercher des équivalents : à l’envi, jusqu’à plus soif, jusqu’à épuisement des stocks, et plus si affinités.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Parmi tout ce qui précède, bien malin qui pourrait dire ce qui sur le plan littéral s’approche le plus de la locution latine. Raison pour laquelle nous l’avons conservée intacte, à tous les coups. Tout en lui donnant du « ad lib. », marque d’affection que nous ne réservons guère qu’à etc., excusez du peu.

 

On n’a pas toute la journée.

Ad : « à » avant la lettre. Préposition dont la particularité est de s’adjoindre tout ce qui passe.

Libitum fait de son côté furieusement penser à libido. Engagés sur cette pente du stupre, ne serions-nous pas en train de nous éloigner du sujet ?

Détrompez-vous. Libitus et « plaisir » sont cul et chemise, si si.

En Latinie, le mot voit le jour comme participe passé substantivé de libere, « plaire ». Car si « ich liebe dich », c’est d’abord parce que « tu me plais ». Et avant de nous lancer des noms d’oiseaux, souvenons-nous qu’un quolibet est à l’origine une question improvisée, débattue librement, selon quod libet : « ce qui plaît ».

Quant aux lubies qui se déclarent sans crier gare, elles bourgeonnent sur le verbe lubere, variante – on vous le donne en mille – de libere.

 

Pas étonnant que les partitions des musiciens regorgent d’ad libitum. Occasion rêvée pour l’interprète de jouer enfin selon son humeur, « à plaisir » ; moyen détourné pour le compositeur de ne pas trop se casser la nénette.

Merci de votre attention.

Implacable

 

Il suffit parfois de retourner la lorgnette pour que s’ouvre un abîme de perplexité. Pas pour impossible, improbable ou impitoyable avec lesquels on reste en terrain connu. Arrive implacable et là, on sèche. Contraire de « placable » : « que l’on peut plaquer » ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dans cette affaire, obnubilé par son caractère tranché, on perd de vue le sens originel de l’adjectif : « qu’on ne peut apaiser ». Un emprunt au latin implacabilis, l’inverse (ah ?) de placabilis : « qui se laisse fléchir, qu’on peut apaiser » en parlant de quelqu’un.
Cherchons pas midi deux heures plus tard, ça vient du verbe placare, « apaiser, calmer, adoucir ». Nous nous laissions bêtement aveugler par le son [k], qui est tout sauf doux.

Index contre pommette, pouce sous le menton, réfléchissons : quelle descendance placare a-t-il laissée ?
Placide, mon bon monsieur.
Et c’est pas fini.
Bonnes pâtes, les placides ne font de tort à personne. Leur compagnie est agréable et, pour tout dire, plaisante. Précisément : ils ont tout pour plaire/placere (piacere en rital).

Même racine que plaisir au passage, employé comme verbe avant que plaire ne l’envoie se faire substantiver ailleurs. Si plaire nous a plus plu, c’est parce qu’il nous rappelait faire. Pas chien, on a fini par ajouter faire à plaisir pour faire plaisir à tout le monde.

 

Revenons-en à ce bon vieux placere, issu de l’indo-européen plak-, « calme » en parlant de la surface de l’eau. D’où placenta, à l’origine « gâteau, galette » voire « crêpe » (on ne rigole pas), le truc plat qui se mange, quoi…

 

Encore une démonstration implacable que tout est lié.

Merci de votre attention.

 

Cote de popularité

 

Quand on n’est point occupé à se mirer sous toutes les coutures, nous nous demandons avec angoisse comment les autres nous trouvent. Pour varier les plaisirs, on a donc installé une glace sans tain, appelée cote de popularité, entre les personnages publics et nous. Les sondageux, relayés par les journaliers (ou l’inverse), seraient si tristes si on leur confisquait. Oh le gros chagrin.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Comme l’instrument n’a qu’un trou, l’aversion ou la sympathie qui s’en échappent sont assez brutes de décoffrage :

Avez-vous une bonne opinion d’untel ?

Au point qu’assister à un record d’impopularité est devenu un motif de délectation à part entière :

L’action du gouvernement n’est plus soutenue que par 22% des Français.

Au passage, puisque vous non plus ne vous souvenez pas avoir été consultés sur la question, il doit plutôt s’agir de 22% du millier de péquins qu’on a emmerdés sondés à l’autre bout du fil. Mais nous y reviendrons car c’est un gros morceau – sans doute le plus monumental morceau de moutonnerie ici-bas, mes moutons (de suite après les anges et les démons).

 

Et puis, hein, popularité, ça devient vague comme notion. Robert est catégorique :

Fait d’être connu et aimé du plus grand nombre.

D’ailleurs, pour remettre les pendules à l’heure, il conseille d’aller voir à célébrité, gloire et renommée. Z’avouerez qu’accolée à sa cote, popularité snobe l’aspect « notoriété » en bloc.

Chez les politiques, si un autre Robert, Badinter celui-là, avait dû attendre qu’une cote de popularité légitime ses vues, la guillotine couperait encore des gars en deux à l’heure qu’il est. On connaît même des chanceliers qui ont fait fureur et dont la popularité nous a valu quelques déboires (« autogaffer », dit-on dans ces cas-là).

 

Course à l’audimat, pouces levés comptabilisés par un rézosocio dont le nom et l’intérêt m’échappent… de la petite bibine comparée à la cote de popularité que les médias appliquent matin, midi et soir aux élus du peuple.
Auxquels ils reprochent, dans leur incurable schizophrénie, sinon leur populisme, du moins de vouloir plaire.

Merci de votre attention.