Business

 

Comme disent les anglo-saxons, « business is business ». Comme disent les étymologues, on n’est pas plus avancé.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Traduction de la tautologie ci-dessus : « les affaires sont les affaires ». Notez que pour un œil extérieur, « faire des affaires » est une activité qui se résume à tondre son prochain. C’est dire si elle est opaque. D’ailleurs peut-on seulement parler d’activité ? Il y en a que ça occupe en tout cas. Ça tombe bien, c’est précisément le sens de business.

 

Avant toute chose, restez crédibles auprès de la clientèle : prononcez « bizness ». « Show business » s’abrège en « show biz » et non « buse » – à moins d’en être une.

Du temps donc où le second i de « biziness » ne s’était pas carapaté dans le feu de la conversation, il permettait d’ouïr l’adjectif busy, « occupé » :

I’m a little busy right now
= revenez plus tard (ou mieux, jamais).

 

S’il y a tant de i dans busy, il faut en blâmer le vieil anglois bisig, « prudent, anxieux », frère du non moins vieux néerlandais bezich et du bas teuton besig. Still pronounced as in Middle English, disent les dicos anglais, but for some unclear reason the spelling shifted to -u- in 15c. Décidément, business est nimbé de mystère.

Au passage, on conçoit que celui qui monte un business angoisse à l’idée de devoir dévoiler ses marges et que les tenir secrètes lui prenne un temps considérable.

 

La gueule de business ne vous revient pas ? Songez qu’on a échappé de peu à son prototype bisiznis. Si on en était resté là, les bisiznismen et bisizniswomen y auraient réfléchi à deux fois.

Merci de votre attention.

 

Feuille de route

 

Jadis, confronté à un blème quelconque, l’homme au pouvoir proposait un plan*, auquel on pouvait trouver à redire mais qui avait le mérite de la franchise. Le même, de nos jours, se tient à une feuille de route dont le simple brandissement le dispense – ben voyons, mon cochon – de la détailler.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

A bien y regarder, « feuille de route » n’est que la version chic d’itinéraire. Elle indique que pour aller là, on doit passer par là, là et là en faisant attention aux radars, zones dangereuses et éboulis éventuels. Sauf qu’itinéraire, c’est bon pour les petits joueurs, les suiveurs, les passifs, les inquiets du volant. Alors que feuille de route, hein, grande classe, tifs au vent, coude, que dis-je, avant-bras par la portière, impression de savoir où l’on va et comment on y va. Quitte à en changer en cas d’imprévu, tout comme les gépéhès nous reprennent en main où qu’on se paume.
La voilà donc devenue un classique des zéléments de langage, grâce aux staffs des politiques qui y consacrent leurs jours.
La feuille de route correspond d’ailleurs au fait de « s’être fixé un cap », « une ligne ».

Un Premier Ministre français, passablement agacé de devoir apaiser les tensions au sein de son gouvernement, déclarait à l’instant même :

Moi j’ai une ligne, hein, vous pouvez compter sur moi, je veux être en permanence celui qui ramènera à l’essentiel, à la ligne qui est celle que le Président de la République a fixée et qui est ma feuille de route, moi j’en ai pas d’autre.

On se prosterne de gratitude. Et d’admiration : peu d’orateurs seraient cap d’enfiler mot pour mot une telle tirade.

Enfin, quel soulagement d’apprendre, au sortir d’âpres négociations, qu’elles ont débouché sur une feuille de route ! Notez qu’on en voit rarement la couleur. C’est le côté pratique de la feuille de route, dont le mystère impressionne toujours.
Et puis une feuille, c’est du concret, ça se consulte à tout moment.
Pas sûr que le pilote nous la laisse trifouiller sur ses genoux, par contre.

Merci de votre attention.

 

* Pendant des lustres se sont même succédé les « commissaires au plan ». Signe des temps, l’organisme au sein duquel ils officiaient vient d’être remplacé par le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP). Selon nos dernières informations, un Commissariat général à la feuille de route et au petit bonheur la chance (CGFDRPBLC) serait à l’étude.