Comment faire avouer à un magicien qu’il n’est pas magicien ?

 

Vous savez qu’il y a un truc. Et lui sait que vous le savez.
Ça ne l’empêche pas de passer consciencieusement les mains au-dessus de son attirail pour prouver qu’il n’est pas truqué.

Comme tous les moutons dans la salle, vous vous faites à cette idée. Mais votre for intérieur, toujours alerte, aura rectifié pour vous : ce n’est pas truqué à cet endroit-là.

A vrai dire, ce que vous trouvez fortiche est moins le tour en lui-même que la dissimulation du mécanisme. Si bien qu’à cet instant, vous assistez à tout sauf de la magie. A moins de considérer comme « magique » ce qui relève de l’inexpliqué. Auquel cas la khônnerie en tant que forme ultime de sorcellerie est promise à un bel avenir.

Votre « magicien » lui-même est certainement un peu atteint. Il lui suffirait de dévoiler ses trucs moyennant double tarif pour se changer les khôuilles en or – et ce ne serait toujours pas de la magie.

 

Publicité mensongère, donc. « Illusionniste » serait plus juste. Ou « prestidigitateur » à la rigueur, dont l’assonance rappelle celle d’abracadabra et qui, étymologiquement, vante simplement un individu preste de ses doigts.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en cartésien civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Lorsque le « magicien » vous demande de choisir une carte, prétextez une phobie des cartes. Toujours plus rationnel que de jouer aux devinettes.

 

♦  Au moment de couper l’assistante en deux, exigez que la manœuvre soit exécutée hors de la boîte, afin de bien prouver que la scie n’est pas truquée.

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♦  En coulisse, remplacez les colombes par des lapins. Ceux de départ, changés en d’autres lapins, apporteront une dimension tout aussi poétique (sinon plus) que l’oiseau de paix.

 

♦  Depuis Houdini, se défaire de ses chaînes en milieu hostile n’est qu’une formalité. Mettez le « magicien » à l’épreuve en l’encerclant de khôns de compétition dont il devra se débattre. Laissez-lui le temps qu’il faudra.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

Poussière

 

On ne fait pas plus universel que la poussière. L’univers lui-même n’est constitué que de ça. Quant à nous, comme dit si bien Hans Post-Scriptum*, nous ne sommes que des poussières d’étoiles. C’est pourquoi dépoussiérer, épousseter ou sputzer (dans le Nord-Est) n’est qu’un leurre. Voire une forme de vengeance, qui consiste à retourner la poussière avant de retourner en poussière.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Vous pensez bien qu’avant la réforme des accents de 1740, poussiere a eu tout le temps de s’installer, mes moutons.

Ainsi, dans les vieux textes poussiéreux, possere première manière passe allègrement de « fines particules de terre desséchée » (fin XIIe) aux « restes de l’homme après la mort » (un siècle plus tard). Non contente de coloniser le propre, elle s’attaque au sens figuré à partir du XVIIe siècle : « mordre la poussière », « jeter de la poussière aux yeux » (supplantée fissa par poudre), sans oublier le fameux « et des poussières » en 1900 et des poussières.

 

Auparavant, il n’y avait pas de poussière puisqu’on ne disait rien. Plus probablement, tout était si crade qu’on ne la distinguait pas du reste. Une fois de plus, c’est dans l’Est qu’on a commencé à secouer tout ça. Et les petits pousset, poussot, poussier de pousser en lorrain, bourguignon et champenois sur l’ancien français « pous ».
Un héritage du latin des rues pulvus et du plus noble pulvis (poudre, née pouldre), auquel on doit pulvériser.

Au passage, la différence est aussi infime entre poudre et poussière qu’entre poussière et pollen, cette mimisse volante capable de faire éternuer comme la poudre du même nom.

Quant à ceux qui touillent leur polenta, songent-ils seulement que la semoule de maïs a traversé les âges elle aussi depuis l’indo-européen pel-, « farine, poussière » ?

 

C’est pas avec l’étymo de brouette qu’on aurait fait autant de chemin.

Merci de votre attention.

 

* A moins que ce ne soit Hubert Reeves ?

Poivre mouliné

 

Si cette appellation vous laisse de marbre, c’est que vous avez failli marcher, comme votre serviteur. Seuls sursauteront ceux pour qui le rite de l’assaisonnement est encore sacré : comment ça, « poivre mouliné » ?

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Par charité, on taira la marque du bocal incriminé. Tentons plutôt de piger pourquoi elle se décarcasse à dévier le cours de toute l’Histoire poivrière. Jusque-là en effet, on vendait le poivre moulu. C’est terminé, place aux jeunes, vive la Révolution, du passé faisons table rase et toute cette sorte de choses.

N’allez pas croire que les communicants maison ont laissé passer semblable boulette. Au contraire, les bougres ont dû cogiter rudement. Pour pavenir à la conclusion que mouliné avait un côté plus reposant, moins « roots » que l’imposante meule qu’on imagine, sous-entendait une plus grande finesse, un produit fini plus noble. Evacuée la machine, quelqu’un a mouliné spécialement pour vous, garantie supplémentaire d’un broyage authentique.

Tout ça à cause du moulin à légumes, mes pépères.

Vous serez d’accord que pour réduire le poivre en poudre, on utilise un moulin. Lequel n’a jamais servi qu’à moudre, rââh ben oui ça change tout. L’Académie est formelle, si on devait le mouliner, faudrait déjà passer le poivre au moulin à légumes, qui se décline en deux sous-genres : le presse-purée et le bjît-bjît (pour la soupe). Encore ces engins ne peuvent-ils que micher ou mixer, par l’entremise de votre bras qui, lui seul, mouline. Eventuellement Charlot, avec sa canne, fait des moulinets. Le poivre, lui, se moud, c’est tout. Laissons donc les pubeux bjît-bjîter tant et plus, et ramasser un par un les grains étalés par terre. Z’auront l’air fin, à quatre pattes dans la cambuse.

Lors d’emplettes futures, si vous trouvez du café « mouliné » en lieu et place du café moulu, sautez pas au plafond, c’est le poivre qu’a commencé.

 

Qu’incidemment l’Académie voie en mouliner un verbe « familier » peut susciter la moue. La vénérable institution compterait-elle secrètement redonner à moudre son lustre perdu ? T’as raison ma grande, ça va mieux en le disant, vu ce qui circule sur certaines étiquettes.

Merci de votre attention.