Un mal pernicieux s’étend à toute la population : nous bouffons de la consonne comme le laïcard du curé. La différence, c’est que les curés, on peut s’en passer.
Mais revenons à nos moutons, moutons.
Cas le plus préoccupant : suggestion. Dans votre bouche, elle se mue en sujestion, vos dénégations n’y feront rien. Et à l’allure où sa consœur gestion s’invite dans la conversation, maquillée en gession pour mieux passer inaperçue (c’est égal, on t’a repérée), on confondra bientôt suggestion et sujétion, cette « dépendance » qui ne demandait qu’à assujettir en paix.
Or, si suggestion = sujestion voire sujétion, que ne pratique-t-on l’ablation sur suggérer ? On en connaît qui sujèrent déjà sans anesthésie.
Doit-on rappeler que suggestion et suggérer renferment le son [gʒ], pépite unique dans toute la langue ? Aggiornamento, taleggio, loggia… Pouvez chercher, partout ailleurs, le double g se contente de faire [dʒ], quand il ne bute pas sur le double vitrage de groggy, jogging ou aggloméré. Rien que pour ça, suggestion mérite qu’on l’articule avec le gouleyant voulu.
Autre vocable en péril : explication. Là encore, sans esplication, certains réussissent l’esploit de moudre un x en s. Et sans le faire esprès, ce qui est encore plus estrordinaire.
Raboter les sons d’un mot, c’est le vider de son sang. Tant qu’on continue à faire comme si de rien n’était, la situation est inestricable.
Et n’allez pas croire que nos amis méridionaux soient épargnés. Parce qu’ils pronônceraient touteus les lettreus ? Avé leur assent, ça reste à voir.
Remontons deux lignes plus haut : on ne l’avait pas vu parce qu’il est discret mais parce que avait ouvert la voie. Qui le prononce encore par ce que, comme son sens nous le hurle ? Pas tous en même temps.
Parsque au maximum ; pasque pour le tout-venant.
Suggestion d’explication : c’est parce qu’on n’a pas toute la nuit.
Merci d’vot’ attention.