Comment ne pas éveiller les soupçons lorsque tout vous accuse ?

 

Vous qui passiez par là à l’heure du crime, il se trouve que non seulement vous avez un mobile mais que votre alibi tient debout comme une saucisse encore vivante.
N’y allons pas par quatre chemins : les apparences sont contre vous.

L’affaire est mal embarquée. Vous aurez beau crier au coup monté et à l’erreur judiciaire, il ne se passera pas trois minutes avant que la volaille assermentée ne vous fasse circonstancier vos aveux, car c’est comme ça qu’on dit.

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Néanmoins, en soulignant certains détails troublants, vous devriez pouvoir convaincre les enquêteurs qu’ils font fausse route. Ils enverront alors au casse-pipes un pauvre bougre en cravate chargé d’expliquer qu’à cette heure, aucune piste n’est privilégiée, car c’est comme ça qu’on dit lorsqu’on pédale dans la semoule.

 

Or donc, quelle attitude adopter ?
Réagissez en accusé civilisé.
Plusieurs options s’offrent à vous :

 

♦  Lancez-vous dans la politique. Habitué à nier l’évidence, vous pourrez bénéficier non pas de la présomption d’innocence comme tous vos électeurs concitoyens mais de l’immunité absolue due à votre rang.

 

♦  N’ayez pas la gueule de l’emploi : contentez-vous d’être vous-même. Vos voisins dodelineront d’incompréhension en vous décrivant comme quelqu’un sans histoires.

 

♦  Plus onéreux, la greffe d’ADN éloignera les soupçons (prélevé sur quelqu’un que vous n’aimez pas, de préférence).

 

♦  Vous n’avez rien à vous reprocher, peut-être, mais les autres ? Evitez les catégories bouc émissaire du type noir/jaune/rouge/blanc/vert/juif/arabe/pro/anti/grand/petit/
gros/mince/homo/hétéro/bi/[compléter].

 

♦  Quoi qu’il en coûte, ne bossez plus votre revers avec les mouches du salon. Vous aurez la réputation de « ne pas faire de mal à une mouche » et personne n’ira vous chercher des poux sur la tête.

 

Flegme et dignité, montrez de quel bois vous vous chauffez.

 

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Z’aurez reconnu incroyable et compliqué, deux oiseaux auxquels on ne laisse plus aucun répit. Etre exempté de l’un ou de l’autre dans une tirade audiovisuelle, notamment déclamée par une voix off payée avec notre redevance, paraîtrait sinon incroyable, du moins compliqué.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Guettez les bestiaux, z’aurez pas à poireauter longtemps. En particulier sur la TNT à l’heure des émissions de faits divers, giboyeuses à souhait :

Un mois plus tard (pause), les enquêteurs retournent sur les lieux du drame. Et ils vont faire (pause) une incroyable découverte.

Hein ! Voilà qui permet de se ménager un suspense aux petits oignons. Qui retombe comme un soufflé quand la montagne accouche d’une souris (‘aime bien, ces petites images pas piquées des hannetons).

De même, le moindre rebondissement sera incroyable ou ne sera pas. Remettez-vous, bonnes gens, ça n’est qu’un rebondissement. Pourquoi ne pas claironner imprévu plutôt ? Parce que c’est s’exposer au pléonasme. Tandis que nincroyable hein, les grammairiens trouveront rien à redire.

Mais qui oblige les gars dans leur cabine à survendre le bout de gras de la sorte ? Déformation professionnelle ? Allons donc. Voulez qu’on fasse le compte de nos propres réflexes de moutons débutants chopés à notre lainage défendant ? Balancer de l’« énorme » à tout-va ? « Trop délirer » à longueur de temps et autres hyperboles nunuches ?

(Pour appuyer le propos, une chronique toute fraîche du sieur Vinvin).

 

Incroyable est costaud, il en a vu d’autres ; gardons nos forces pour compliqué, dont le cas est plus singulier.

Epreuve sportive :

Ah ça devient compliqué pour le Français, là…

(ça l’est depuis le début, au vrai, mais chut ! pas de chauvinisme à l’envers).

Edito politique :

Semaine compliquée pour le Président de la République…

(ça l’est depuis le début, au vrai, mais chut ! pas de poujadisme à mots couverts).

Le pauvre se vide de sa substance à toute berzingue puisqu’on ne détaille guère en quoi la situation est « compliquée » : sa seule présence dans la phrase dissuade de se triturer les méninges. Pas par hasard si compliquer est l’exact inverse d’expliquer, amis étymologues.

Pire encore, non content d’avoir ratatiné ses équivalents dur et difficile [à comprendre], compliqué jette désormais son dévolu sur n’importe quelle épithète pourvu qu’elle soit chargée négativement.
On a ainsi pu entendre évoquée sur un plateau

une ambiance compliquée

au sein d’un groupe de pedzouilles non identifié.
C’est à n’en point croire ses oreilles ; aussi, feignons de n’avoir rien en-tendu.

Merci de votre attention.