« Sécure »

 

On a un doute sur l’accent aigu. Sur l’existence officielle du mot itou, d’ailleurs. D’où les guillemets, c’est plus « sécure ».

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dans notre série « pas la peine d’inventer des mots, on en a déjà », « sécure » vise le podium. Pendant ce temps-là, personne ne s’occupe de trouver un équivalent à « qui fait l’angle ». Un scandale, ne serait-ce que pour les carrefours.

Bref, bien que génétiquement modifié, « sécure » nous rassure. Nous sécurise plutôt, puisqu’on y entend sécurité. « Ben quoi ? », benquoient déjà les partisans du tout-« sécure ». C’est parce que sécurité n’a pas d’épithète que « sécure » joue des coudes. Z’êtes sûrs de ça ?

 

On ne s’épargnera pas trois secondes d’étymo, surtout quand il y va du bien-parler-la-France : sûr et « sécure » ne font qu’un, mes moutons. En secouant le chapeau du premier, toutes les lettres du second tombent comme par magie. Pareil chez nos amis anglais : pourquoi croyez-vous qu’ils s’ingénient à chuinter [chioure] ? Oui mais là-bas, sure cohabite avec secure depuis fort pretty lurette. Sans parler de l’hispano-portugais seguro, du roumain sigur, du suédois säker ni de sicher le teuton. Dans ces conditions, pourquoi « sécure » ne ferait-il pas doublon avec sûr ?
La sûreté de l’Etat, c’est bien joli, encore faut-il que les barrières soient « sécures ».

A l’heure où la précaution se mue en principe et où l’insécurité règne, « sécure » nous donne l’illusion du plus sûr que sûr – illusion renforcée par sa consonance anglo-saxonne. Nul doute que la bête parviendra à s’immiscer dans les dicos dans un futur proche.
Quant à savoir si l’usage a toujours raison, rien n’est moins sûr.

Merci de votre attention.

 

Lireattentivementlanotice

 

Une pub ne pouvant dépasser vingt-cinq secondes (plutôt mourir), celles pour les médicaments ont tendance à s’emballer vers la fin. Les contre-indications y fusent pourtoutfairetenirdansletempsimparti. L’urgence sanitaire dans toute sa splendeur.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Ayons déjà une pensée pour la voix off et l’équipe chargée de la ranimer à l’issue de l’exercice. Elle a fort à faire :

Naguère encore, on se contentait d’une ou deux mises en garde bonhommes, du style « demandez conseil à votre pharmacien » :

Aujourd’hui, plus moyen d’échapper à l’intégralité de la notice. Et plus c’est écrit petit, plus c’est lu vite. Les autres sabirs ne sont pas épargnés :

Mieux vaut ne pas avoir mal à la tête, sinon c’est pire.

Certains spots poussent le vice jusqu’à faire défiler en plus un bandeau saturé de précautions d’emploi, pour un résultat encore plus effroyable.

 

Si vous ne faisiez pas n’importe quoi avec les médocs, aussi ! C’est pour se couvrir vous que le législateur et les labos font n’importe quoi avec le message obligent les pubs à annoncer in extenso la couleur. Et tant pis si c’est imbitable.

Croyez vraiment qu’on assimile toute la posologie à une telle berzingue ?

Du même tonneau, les incitations à se couvrir parce qu’il fait froid ou à bien se moucher en cas de grippe. Sans blague. Et à mettre un pied devant l’autre pour marcher, non ? Sait-on jamais, des piétons zimprudents pourraient se retourner contre l’Etat.

 

Riez pas, le mal s’étend partout : prêt bancaire, dernier modèle de bagnole… L’astérisque à Mach 2 pullule. D’ici peu, les affiches de spectacles mentionneront la date de naissance des artistes, celle du début des répétitions et celle du désamiantage de la salle. Entoutpetitpournesurtoutpasgênerlalecture.

Merci de votre attention.

 

Attation canicule

 

Traumatteisés sans doute à l’idée d’être tenus pour responsables du cagnard, les pouvoirs publics préfèrent prévenir que guérir. Des messages d’information, relayés partout avec nos sous, nous invitent ainsi à nous hydrater en partant du principe (de précaution) qu’on n’y aurait pas pensé tout seul.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Le jeu consiste d’abord à placer certains départements en « vigilance orange » (on peut même aller jusqu’à « rouge » si on sait s’amuser). Puis à surpasser en nunucherie la plus poule des mères poules avec ce genre de conseils :

En cas de malaise ou de troubles du comportement, appelez un médecin (sans rire ?) ;
Prenez des nouvelles de votre entourage (moins valable le reste de l’année) ;
Pendant la journée, fermez volets, rideaux et fenêtres. Aérez la nuit (riverains d’aérodromes, tant pis pour vous) ;
Utilisez ventilateur et/ou climatisation si vous en disposez. Sinon essayez de vous rendre dans un endroit frais ou climatisé (grandes surfaces, cinémas…) deux à trois heures par jour (ça fera marcher le commerce, en sus).

Les ceusses qui ont planché là-dessus ont dû suer au moins autant que leurs cibles. Avant de repartir :

Buvez beaucoup d’eau plusieurs fois par jour (sauf ceux qui préfèrent flétrir sur place) ;
Continuez à manger normalement (faut pas se laisser abattre) ;
Ne sortez pas aux heures les plus chaudes (‘tendez, le meilleur arrive). Si vous devez sortir, portez un chapeau et des vêtements légers (l’anorak et les grosses chaussettes ne feront rire que vous).

Ne manque plus qu’

abritez-vous

pour que la lapalissade soit complète.

On a même ouï, au cours d’un bulletin météo :

Pensez à vérifier la climatisation de votre véhicule.

Aurait-on vraiment l’air neuneu à ce point ?

Faudrait voir à ne pas oublier – nos réactions physiologiques se chargent d’ailleurs à cette occase de nous le rappeler – la bête qui sommeille en nous. Qu’irait penser le reste de la faune si un spécimen de chaque espèce lui détaillait ce que son instinct lui commande déjà ? Il se bidonnerait sec, excusez.

 

En hiver, litanie du même tonneau : « boissons chaudes », « couvrez-vous », « équipez-vous de pneus neige »… Heureusement qu’on pense à nous comme ça.
Des larmes de reconnaissance, voilà ce que ça devrait nous tirer.

 

Quant aux équinoxes, ils auront bientôt droit à leurs slogans, que vous pouvez commencer à apprendre par cœur : « ôtez vos pneus neige », « râtissez le pollen », « râtissez les feuilles mortes ». Et surtout, « continuez à manger normalement » (faut pas se laisser abattre).

Merci de votre attention.

 

Allo maman bobonne

 

Point n’est besoin d’avoir fait sociologie des grandes surfaces pour observer que, dans le doute face à sa liste de courses, seul l’homme du sexe masculin appellera bobonne à la rescousse, à la maison ou wherever she is.

Mais revenons à nos moutons, moutons.

Dans un rayon, agrippé au caddie, l’homme blêmit. Râh putain ils l’ont pas, maugrée-t-il en son for intérieur. Que prendre à la place ?
Lorsqu’il a fini de s’interroger en son for intérieur et que le fruit de sa réflexion (qui peut aller de trois secondes à plusieurs minutes de solitude existentielle) débouche sur peanuts : portable.

Ce fait civilisationnel laisse supposer que ladite liste a été établie par bobonne. Et que bobonne est joignable, sans quoi les affres de monsieur peuvent se prolonger jusqu’après la fermeture.

Plutôt que d’essuyer un savon sitôt ses pénates regagnées parce que je te l’avais dit qu’il fallait pas prendre ça, l’homme du sexe masculin préfère, sans souci du qu’en-dira-t-on, sortir l’artillerie lourde. Déguisée en oreillette parfois.

 

Mais l’homme tient sa victoire. Une référence de la liste vient à souffrir d’imprécision ? L’occasion est trop belle de faire remarquer à bobonne sa connaissance lacunaire de l’approvisionnement de l’échoppe. Jusqu’où va se nicher le reproche.

Oh mais on est prêt à parier que certains spécimens (les moins orgueilleux) prennent une photo de ça et de ça qu’ils s’empressent d’envoyer, toujours via la magie des ondes, à la porteuse de culotte. Qui tranchera, dans un bon jour : prends les deux, on verra bien.

 

Comment faisait-on avant ? On était obligé de se faire confiance – ou de se briefer deux fois plus.
Conclusion : non seulement la joignabilité pousse à la consommation mais elle tue l’amour dans les mêmes proportions.

Merci de votre attention.